5 idées reçues sur la mixité des équipes
De manière générale, la discrimination, consciente ou inconsciente, est basée sur des préjugés, c’est-à-dire un ensemble de croyances, d’idées, d’opinions toutes faites, reposant généralement sur une généralisation abusive et qui sont acceptées sans réflexion et répétées sans avoir été soumis à un examen critique.
Voici par exemple quelques affirmations pêchées sur le forum ou lors d’échanges par courriers électroniques avec des recruteurs :
Les hommes sont moins rigoureux que les filles dans leur boulot auprès des enfants au niveau de la vie quotidienne etc.
L’animation, c’est un truc de jeunes…
Les enfants ont besoin d’animateurs et animatrices comme repères.
Je ne vais pas demander à un homme de mettre de la crème à une jeune fille.
Pour l’équilibre de l’équipe et le bien être des enfants, il me faut maintenant 2 animatrices. Je ne peux pas avoir une équipe exclusivement masculine !
etc.
Les magazines de vulgarisation scientifique consacrent régulièrement des pages à ces idées reçues. Récemment, la revue Sciences et Avenir de février 2012 (1) a consacré un dossier complet à démonter une à une ces représentations.
Idée reçue n°1 : la mixité de l’équipe est une obligation
Faux.
Depuis 1977, la règlementation dispose que les séjours de vacances « doivent être organisés de façon à permettre aux filles et aux garçons âgés de plus de six ans de dormir dans des lieux séparés (2). » C’est tout. Il n’est jamais fait mention dans la réglementation de la mixité de l’équipe, ou de la nécessité de disposer d’encadrants du même sexe que le public accueilli.
Comme l’explique un participant du forum, dir_cv, ce n’est pas par hasard que les gouvernements successifs ont maintenu une grande souplesse (les centres de loisirs ne sont pas concernés, il n’est pas fait mention d’une obligation systématique mais d’une possibilité offerte aux enfants…) (3) : la coéducation implique que garçons et filles soient au contact les uns des autres.
Idée reçue n°2 : un mélange d’hommes et de femmes favorisera l’harmonie de l’équipe
Selon une opinion parfaitement résumée par le best-seller Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus : « Les hommes s’enferment dans leur caverne, et les femmes bavardent (4). » Une équipe constituée exclusivement d’hommes ou de femmes conduirait donc nécessairement au fiasco. Dit autrement, « les hommes seraient garants d’une « bonne ambiance » et donc de la « cohérence, » indispensables et indissociables, au sein des équipes d’animation (5), » soit une véritable « image miroir du couple parental (6). »
Faux.
Nous avons tous et toutes des cerveaux différents, indépendamment du sexe biologique (7). Les femmes ne sont pas plus multi-tâches que les hommes, et ceux-ci ne sont pas meilleurs sur la maîtrise des techniques (8). Ces clichés ne sont pas fondés. Ce sont des conceptions construites depuis l’enfance et qui conduisent à penser l’équipe en termes de complémentarité et d’équilibre hommes / femmes. Comme le montre Magali Bacou, cette catégorisation entre « attributions féminines » et « attributions masculines » concoure à la persistance des inégalités hommes / femmes : « ces différenciations sexuées entraînent obligatoirement des inégalités, puisque l’on considère qu’il existe d’une part des « qualités féminines », donc des « activités féminines » et un « rôle féminin », et d’autre part des « qualités masculines », donc des « activités masculines » et un « rôle masculin (9). » »
Idée reçue n°3 : il faut éviter que les garçons fassent des câlins aux enfants, par rapport aux parents
Faux.
Comme l’explique une inspectrice Jeunesse & Sport : « Par peur de la pédophilie, on a évacué des accueils de mineurs les gestes de tendresse et d’affection. Au point qu’un animateur n’ose plus prendre sur ses genoux un enfant qui s’est fait mal en tombant, ni le consoler par un bisou par crainte du regard de ses collègues, ou des parents (10). »
Cependant, rien ne fonde cette crainte. Il s’agît en quelques sortes d’une autocensure injustifiée des équipes. Selon une étude conjointe de la JPA, de l’UFCV et de l’UNAT, parue en 2005, les familles ont une image positive des colonies de vacances et ont « confiance dans l’encadrement (11). » Leurs craintes éventuelles portent sur la liberté et l’autonomie qu’aura leur enfant…
Idée reçue n°4 : il faut nécessairement des animatrices en cas de problème pour des questions d’intimité
Faux.
Il est attendu de tous les animateurs et animatrices les mêmes fonctions, entre autres, d’assurer la sécurité physique et morale des mineurs, de construire une relation de qualité avec les mineurs qu’elle soit individuelle ou collective et d’encadrer et animer la vie quotidienne et les activités(12). L’intimité est un terme large recoupant plusieurs moments de la vie quotidienne : l’hygiène, le linge, les affaires personnelles, les relations avec la famille. Il est attendu de toutes les animatrices et de tous les animateurs qu’ils soient en capacité d’intervenir sur ces questions là. Parfois, la question ne se pose même pas : lorsqu’il y’a une urgence ou en bivouac lorsque les lieux ne permettent pas de séparation entre garçons et filles par exemple.
S’il parait logique de permettre à un enfant d’avoir affaire à un animateur ou à une animatrice selon son choix, dès lors qu’il va devoir s’exposer et se dévêtir, il ne paraît pas légitime de fonder un ensemble de pratiques discriminatoires sur ce seul élément.
Idée reçue n°5 : il vaut mieux des hommes pour les activités sportives et des femmes pour les travaux manuels.
Faux.
Plusieurs recherches universitaires ont montré que non seulement les animateurs et animatrices reproduisent des stéréotypes sexués (13), mais aussi que l’offre de loisirs agît dans le sens d’une séparation des sexes : les pratiques physiques encadrées par les animateurs s’adresseront aux garçons et les activités manuelles des animatrices aux filles (14). Accepter la possibilité d’une équipe non mixte, c’est donc s’engager à rompre avec cette opposition implicite. Une longue enquête (15) réalisée dans des stages sportifs d’une ville, les étés de 2002 à 2005, montre que les éducateurs ont tendance à repousser les éducatrices des activités dites « sportives » ou « techniques ». Cependant, dès lors qu’une éducatrice s’empare d’une activité traditionnellement masculine (ici, le football), la participation des filles augmente massivement. Les travaux de Magali Bacou, déjà cités, confortent cette analyse. « L’observation participante menée dans le cadre de cette étude montre que, quel que soit la configuration sexuée des équipes d’animations, les enfants ont toujours autant le choix entre des activités physiques et des activités manuelles (16). »
Conclusion
Ainsi, la nécessaire mixité est un mythe construit à partir de représentations sociales et professionnelles qui ne trouve pas de justification scientifique. S’imposer la mixité de l’équipe revient à mettre en pratique et à diffuser, inconsciemment, des pratiques et préjugés sexistes. Par ailleurs, du fait de la féminisation des métiers de l’animation (17), cette mixité forcée fait que les femmes doivent « faire face à une plus grande concurrence que les hommes (18) » face à l’emploi. Pour toutes ces raisons, la mixité contrainte de l’équipe ne contribue pas à l’égalité femmes / hommes.
C’est pourquoi, dans le cadre de son engagement dans la lutte contre les discriminations, Planet’Anim se mobilise pour diffuser le droit, le faire appliquer et faire évoluer – à son niveau – les pratiques. L’ambition de la lutte contre les discrimination étant, comme l’a montré Jean-Marie Bataille dans sa thèse de sciences de l’éducation (19), de permettre à chacun de porter une singularité face aux autres.
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(1) Dossier « Neurosexisme : la guerre est déclarée. » Sciences et Avenir, février 2012 n°780
(2) Article R227-6 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) créé en 2002. La rédaction de 1977 était similaire : « L’organisation des locaux (chambres et sanitaires) doit permettre une utilisation distincte pour les garçons et les filles de plus de six ans. » Article 15 de l’arrêté du 25 février 1977 relatif aux conditions sanitaires des établissements et centres de placement hébergeant des mineurs à l’occasion des vacances scolaires, des congés professionnels et des loisirs.
(3) dir_cv en décembre 2011 sur le sujet Help!!! Couchage Animateur /mineur dans la même chambre seuls (post #13) et en novembre 2012 sur le sujet Reglementation "mixité" (post #15).
(4) Gray J. Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus. Éditions J’ai lu 2003. p. 42
(5) Bacou M. « La mixité sexuée dans l’animation », in Agora débats/jeunesses n°36, décembre 2004, p. 74. Consultable en ligne : lien vers l’article sur Persee.fr
(6) Bacou M. « La mixité dans l’animation », in Gillet J.-C., Raibaud Y. (dir.), Mixité, parité, genre dans les métiers de l’animation, Paris L’Harmattan 2006, p. 82
(7) Vidal C. Hommes Femmes, avons nous le même cerveau ? Éditions Le Pommier 2007 cité par le site de l’égalité professionnelle quizz des stéréotypes
(8) Bishop, K.M. and D. Wahlsten « Sex Differences in the Human Corpus Callosum: Myth or Reality? » in Neuroscience and Biobehavioral Reviews vol 21, 1997 cité par le site de l’égalité professionnelle quizz des stéréotypes
(9) Bacou M. 2004 Op.-Cit. p. 72
(10) Van Eecke R. dossier « Mixité et sexualité en ACM » in Le Journal de l’Animation, avril 2012, n°128 p. 75
(11) Observatoire des vacances et des loisirs des enfants et des jeunes. Centre de vacances colonies de vacances…Perceptions et attentes des parents. Bulletin n°10-15, avril 2005. p. 7
(12) Arrêté du 22 juin 2007 fixant les modalités d’organisation des brevets d’aptitude aux fonctions d’animateur et de directeur en accueils collectifs de mineurs
(13) Bacou M. « Parcours sexués et processus de professionnalisation dans les métiers de l’animation en accueils de loisirs », thèse de doctorat de sociologie, univ. Toulouse-II-Le-Mirail, 2010. Ferreira A. « Jeu(x) de genre et Apprentissages de genre en centre de loisirs », thèse de doctorat de sciences de l’éducation, univ. Paris 13, non soutenue à ce jour.
(14) Herman É. « Le genre en centre de loisirs : faire avec et “mettre de soi” », in Gillet J.-C., Raibaud Y. (dir.), Mixité, parité, genre dans les métiers de l’animation, Paris L’Harmattan 2006, p. 87-103. Voir aussi Bacou M. 2010 Op.-Cit.
(15 Guérandel C. « Sports, genre et jeunesse populaire : le rôle central des professionnels » in Agora débats/jeunesses n°59. p. 93-106. Le dossier complet « Mixité dans les activités de loisir : La question du genre dans le champ de l’animation » est téléchargeable sur le site de l’Injep, ou en cliquant ici (.pdf 205 Ko).
(16) Bacou M. 2004 Op.-Cit. p. 73
(17) Lebon F., Les animateurs socioculturels, Paris La Découverte 2009, coll. « Repères » p.48
(18) Bacou M. 2004 Op.-Cit. p. 74
(19) Bataille JM « Pédagogies de la décision. Décider avec les publics en animation socioculturelle », thèse de doctorat de sciences de l’éducation, univ. Paris Ouest Nanterre la Défence, 2010, p. 339 à 340. Consultable en ligne : http://www.theses.fr/2010PA100052
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