Accès aux vacances, la fin du progrès social ?

Entre 1965 et 1989, le taux de départ en vacances a constamment augmenté, que ce soit pour la population totale ou, plus spécifiquement, pour les enfants. Depuis, il stagne (hormis une légère hausse en 2004)[1] : quels sont les chiffres ? Quelles explications ?

 
 
Désintérêt des pouvoirs publics et injustice sociale : les chiffres parlent
 
Depuis 2004, date de la dernière enquête « Vacances » de l’Insee, il n’existe plus d’étude statistique publique concernant l’accès aux vacances des moins de 15 ans. Face à cette lacune, l’Observatoire des vacances et des loisirs des enfants et des jeunes (Ovlej)[2] a réalisé fin 2011 une enquête téléphonique auprès d’un échantillon national de 2500 familles ayant un ou plusieurs enfants âgés de 5 à 19 ans. Les résultats de l’enquête, publiés début 2012, sont accablants[3] :
  • l’accès aux vacances des enfants et des jeunes ne progresse plus : un quart des 5 – 19 ans ne part pas en vacances ;
  • les inégalités s’accroissent : les enfants de familles à revenu inférieur à 1 500 € mensuels sont de moins en moins nombreux à pouvoir partir (59 % en 2004 et 50 % en 2011) ;
  • et les vacances en famille progressent au détriment des départs sans les parents : en 30 ans, le taux de départ en séjour collectif (en colonie de vacances) est passé de 16 à 10 % alors que les familles continuent d’en apprécier les rôles éducatif et ludique.
 
Plusieurs rapports officiels ont récemment rappelé la baisse de la fréquentation des colonies de vacances :
 
La fréquentation des accueils de loisirs pendant les congés semble quant à elle s’être développée entre 1998 et 2003, pour se stabiliser depuis une dizaine d’années. La différenciation sociale s’illustre principalement par l’âge d’entrée au centre de loisirs : les familles à faible revenus privilégient la prise en charge par les parents pour les enfants d’âge maternel. « Âge, activité́ professionnelle des parents, territoire, demeurent les principaux déterminants de la pratique du centre de loisirs[5]. » Ainsi, le revenu des familles n’est pas un critère clivant contrairement à la fréquentation des séjours de vacances.
Lire également l’article de synthèse du Journal de l’Animation accessible en ligne : Les accueils de loisirs sont des lieux de mixité sociale, 7 mai 2014
 
 
La pression financière comme principale cause et des aides réduites et parfois peu encourageantes
 
Les difficultés financières sont, sans surprise, le premier frein au départ : selon l’enquête de l’Ovlej, elles représentaient la première raison de non départ de l’enfant pour 51 % des parents en 2004, contre 67 % en 2011. « Pour 60 % d’entre eux, c’est la seule raison citée[6]. » Cette analyse confirme les observations réalisées en 2010 par Secours populaire[7].
Ce frein avait été parfaitement identifié dès 2001 par un rapport du Conseil national du tourisme, réalisé́ à la demande de la secrétaire d’État au tourisme[8] qui pointait également le décalage entre les attentes des jeunes (convivialité, simplicité, découvertes…) et les dispositif d’aides pour les vacances et loisirs, qui relèvent souvent de la politique de la ville et de la prévention de la délinquance : faire partir les jeunes des banlieues en séjour de vacances pour éviter qu’ils ne « zonent »…
 
 
 
 
 
Les vacances comme principal marqueur de différenciation sociale
 
D’une façon générale, les différences entre le haut et le bas de l’échelle de revenus ont tendance à se creuser : « Les foyers les plus aisés ont continué à partir dans des proportions relativement stables oscillant autour de 80%. (…) [Cependant,] 47% des foyers les plus pauvres partaient en vacances en 2007 ; en 2012, ils ne sont plus que 37%.[9] »
Pour les familles, les vacances ne sont pas un luxe, mais un complément de vie normal, un modèle culturel : « Partir contribue au bien être quotidien, et notamment à porter un regard plus positif sur son cadre de vie (Crédoc 2010). C’est également un marqueur social. Ne pas pouvoir partir concourt au sentiment de « déclassement » des personnes concernées, plus fortement que ne pas posséder de voiture ou de téléphone mobile (Crédoc 2009). Quand ce sont les enfants qui sont privés de vacances, il ne s’agit plus seulement d’une dégradation de l’image de son propre statut social mais de marginalisation. Ainsi, pour trois Français sur quatre, rencontrer des difficultés à faire partir ses enfants en vacances au moins une fois par an est une caractéristique de la pauvreté́ (sondage IPSOS 2008). Face à ces enjeux, on y renonce quand il n’est plus possible d’économiser sur d’autres types de dépenses (Crédoc 2009)[10]. »
Comme le souligne une note du Centre d’analyse stratégique (un organe du Premier Ministre, aujourd’hui dénommé Commissariat général à la stratégie et à la prospective) : « À niveau de vie équivalent, la propension à être satisfait de son cadre de vie quotidien augmente de 30 % lorsque l’on est parti en vacances durant l’année écoulée[11]. »
 
Pour être heureux, partez en colo cet été !
 
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Illustration : Joaquín Sorolla y Bastida [domaine public], via Wikimedia Commons

 


[1] OVLEJ, dossier d’étude n°163, mai 2013 « Quelles vacances pour les enfants et les adolescents aujourd’hui ? Entre fréquentation des centres de loisirs et départs en vacances » p.4
[2] Créé en novembre 1999, l’Observatoire des vacances et des loisirs des enfants et des jeunes (Ovlej) a pour objectif de suivre et d’analyser les évolutions du secteur des vacances et des loisirs des mineurs. Il a été fondé par la Jeunesse au plein air (Jpa) et l’Union nationale des associations de tourisme (Unat). Ses travaux sont en partie financés par la Caisse nationale d’allocations familiales.
[3] OVLEJ, dossier d’étude n°163, Op.-Cit.
[4] Claudie Buisson « Lutter contre la fracture touristique » p. 61 Télécharger le pdf 3,4 Mo
[5] OVLEJ, bulletin n°43, mai 2014 « Les centres de loisirs : état des lieux de la fréquentation en 2011 » p. 11
[6] OVLEJ, bulletin n°41, mars 2013 « Le départ en vacances des enfants et des adolescents aujourd’hui : progression des inégalités et resserrement autour de la famille » p. 4
[7] Baromètre Ipsos / Kinder pour le Secours populaire, 26 mai 2010 « En France, aujourd’hui, un enfant sur 3 ne part pas en vacances … »
[8] Conseil national du tourisme, novembre 2011 « Incitation au départ des non-partants » Télécharger le pdf 1,4 Mo
[9] CRÉDOC, note de synthèse juillet 2012 « Les catégories défavorisées, de plus en plus sur le bord de la route des vacances » p. 1 Télécharger le pdf 160 Ko.
[10] OVLEJ, bulletin n°41, Op.-Cit. p. 10
[11] Centre d’analyse stratégique, note d’analyse n°234, juillet 2011 « Les vacances des Français : favoriser le départ du plus grand nombre » p. 1 Télécharger le pdf 1,6 Mo.
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