Contrat d’engagement éducatif : la fin de l’aventure juridique.

23/03/2012

Lapin

Réglementation

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CEE : levez-vous !

Petit rappel des faits : le 14 octobre 2010, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui avait été saisie d’une question du Conseil d’État français, estime que les animateurs relèvent de la réglementation européenne relative au temps de travail. Si l’animation peut déroger à la règle générale des 11h de repos quotidien, c’est « à condition que des périodes équivalentes de repos compensateur soient accordées aux travailleurs concernés ou que, dans des cas exceptionnels dans lesquels l’octroi de telles périodes équivalentes de repos compensateur n’est pas possible pour des raisons objectives, une protection appropriée soit accordée aux travailleurs concernés(1). »
La décision fait grand bruit dans le milieu de l’animation : les fédérations d’éducation populaire et les organisateurs de séjours de vacances se mobilisent : ils se regroupent, interpellent les médias et sollicitent les députés et sénateurs. Ils veulent maintenir un statut intermédiaire entre bénévolat et salariat pour le personnel pédagogique des accueils collectifs de mineurs.

Branle-bas de combat tout le monde sur le pont !

La mobilisation prend. Le 13 juillet 2011, le député Pierre-Christophe Baguet dépose une proposition de loi qui assimile le volontariat des animateurs à celui des pompiers et qui vise à « échapper aux dispositions de la directive 2003/88/CE concernant l’obligation de repos quotidien » selon ses propres mots(2).
Schéma explicatif CEE
Le syndicat Sud Solidaires Isère, à l’origine du recours devant le Conseil d’État, dénonce une tentative de soustraire les animateurs au droit du travail et remet sur la table la question de la rémunération(3).

Le 19 septembre, le gouvernement, via Luc Chatel et Jeannette Bougrab, annonce la création d’un groupe de travail sur le contrat d’engagement éducatif pour anticiper sur la remise en question du statut.

L’été passe et second coup de tonnerre à la rentrée : le 10 octobre dernier, à une semaine des vacances de Toussaint, le Conseil d’État – qui traite la réponse de la CJUE – annule pour excès de pouvoir certaines dispositions du décret d’application du contrat d’engagement éducatif (CEE)(4) : le personnel en CEE a droit à un repos de 11h par période de 24 h : « tant que de nouvelles dispositions dérogatoires, compatibles avec le droit de l’Union, ne sont pas adoptées, les moniteurs de colonies de vacances ont droit à un repos quotidien de 11 heures consécutives(5). »

Télécharger le schéma explicatif du CEE au format pdf (400 ko) ou au format jpg (184 ko)

« Cette décision est une première victoire pour les animateurs/trices de colonies de vacances, et un premier pas pour la reconnaissance de leurs droits » se réjouit sans surprise le syndicat Sud Solidaires Isère(6)

Entre temps, la proposition de loi Baguet est devenue un amendement(7) à la grande proposition de loi patchwork Warsmann(8) qui traite aussi bien du code du travail, du code de l’environnement ou du code des marchés publics.

Les vacances de noël approchent et les dirigeants sont désemparés : comment faire ? Embaucher 2 ou 3 fois plus d’animateurs et instaurer un roulement ? Annuler les séjours ? Fermer les yeux ?

L’imbroglio de la fin 2011 termine sa course folle en mars 2012

À l’automne – hivers 2011, c’est une vraie cacophonie. Plus personne ne semble comprendre ce qui se passe : 3 initiatives législatives se côtoient(9) ; la forte décision(10) des juges suprêmes, c’est-à-dire le Conseil d’État, ne semble pas avoir été appliquée lors des vacances de Toussaint ; les membres du groupe de travail sont connus tardivement « en off » et ne comprennent ni syndicats ni représentants de la jeunesse ; la « plateforme de l’animation » coordonnée par la Jeunesse au Plein Air (JPA) participe au groupe de travail mais continue d’interpeller les députés et sénateurs de son côté ; des initiatives indépendantes voient le jour (appels à « sauver les colos », manifestes, collectifs…).
Le ministère ne donne aucune instruction pour les vacances de noël tandis que les grands organisateurs, tels que l’UNOSEL, l’UFCV, l’UCPA, Telligo, ou la ligue de l’enseignement, se gardent bien de formuler des directives claires en termes de recrutement et d’organisation. C’est le « grand silence. » Plusieurs membres du forum planetanim témoignent de leur désarroi(11).

La proposition de loi Warsmann tarde à être adoptée malgré la procédure accélérée : elle navigue entre l’Assemblée nationale et le Sénat et est soumise au Conseil constitutionnel. Elle est finalement promulguée le 22 mars 2012 et publiée au journal officiel le lendemain.

Par ailleurs, le groupe de travail sur CEE, instauré le 19 septembre 2011 et présidé par André Nutte, inspecteur général des affaires sociales honoraire, a rendu ses conclusions au gouvernement le 20 mars 2012. Les détails ne sont pas encore connus mais le rapport pourrait proposer la création d’un statut d’animateur volontaire. Note du 5 avril 2012 : le rapport est désormais diffusé. Pour en savoir plus : Le rapport sur le contrat d’engagement éducatif enfin dévoilé.

Quels droits pour les animateurs ? Quelle organisation ?

Ainsi, l’article 124 apporte deux nouveautés :

1. « La totalité des heures de travail accomplies au titre du contrat d’engagement éducatif et de tout autre contrat ne peut excéder quarante-huit heures par semaine, calculées en moyenne sur une période de six mois consécutifs. » Article L432-4 du Code de l’action sociale et des familles.

2. « La personne titulaire d’un contrat d’engagement éducatif bénéficie au cours de chaque période de vingt-quatre heures d’une période minimale de repos de onze heures consécutives. Cette période de repos peut être soit supprimée, soit réduite, sans pouvoir être inférieure à huit heures. La personne titulaire d’un contrat d’engagement éducatif bénéficie alors d’un repos compensateur égal à la fraction du repos dont elle n’a pu bénéficier. Ce repos est accordé en tout ou partie pendant l’accueil dans des conditions fixées par décret. » Article 432-5 du Code de l’action sociale et des familles.

Le premier point a pour vocation d’anticiper un nouveau recours pour infraction à la durée maximale de travail hebdomadaire, fixée à 48h par le Code du travail. Il n’a pas de conséquence pour les employeurs.
Le second point est la déclinaison nationale de la directive européenne. Il permet à l’employeur de choisir entre :

  • a. accorder 11h de repos quotidien ;
  • b. accorder un repos quotidien inférieur (8h minimum) ;
  • c. ou ne pas accorder de repos quotidien (cas en vigueur jusqu’à l’arrêt du Conseil d’État du 10 octobre 2011).

S’il opte pour les solutions b ou c, l’employeur devra accorder un repos compensateur égal à la différence entre 11h et le repos pris, avant la fin du contrat de son employé. Par exemple, sur une colo de 10 jours comprenant 9 jours travaillés avec 8 heures de repos quotidien, l’employeur devra accorder un repos compensateur de 27 heures [(11 – 8) x 9].
Un futur décret devrait préciser la mise en œuvre de ce repos compensateur.

(1) CJUE 14 oct. 2010 Union syndicale Solidaires Isère c/ Premier ministre
(2) Proposition de loi n°3685 visant à reconnaître un régime spécifique aux personnels pédagogiques occasionnels des accueils collectifs de mineurs, titulaires d’un contrat d’engagement éducatif, notamment au regard des règles d’aménagement du temps de travail
(3) Communiqué de presse de l’Union syndicale Solidaires Isère du 1er août 2011 (.pdf – 40 ko)
(4) Décret n° 2006-950 du 28 juillet 2006
(5) Communiqué de presse du Conseil d’État du 10 octobre 2011
(6) Communiqué de presse Solidaires du 11 octobre 2011
(7) Amendement n°194
(8) Proposition de loi n°3706 relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives adoptée le 29 février 2012
(9) La proposition de loi Warsmann, Op-Cit, la proposition de loi Kert visant à renforcer les conditions de sécurité des mineurs accueillis dans le cadre d’un séjour à l’étranger à laquelle l’amendement Baguet est un temps rattaché, et la proposition de loi Juanico visant à renforcer l’accès aux loisirs et aux vacances par la création d’un statut du volontariat de l’animation
(10) CE, 10 oct. 2011, Union syndicale Solidaires Isère, n°301014
(11) Lire les sujets : CEE => 11h de repos consécutives => HELP HELP ! ; CEE : on avance ; 11h de repos, ça donnera quoi? ; et Droit au repos quotidien (11H) pour les personnels en CEE : c’est l’Europe qui tranchera…

 

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Nos autres articles sur le sujet :
19 sept. 2011 Le groupe de travail sur le CEE est installé
12 oct. 2011 Un repos quotidien minimum de 8h00 pour les animateurs
21 déc. 2011 Le point sur le CEE 


Illustrations :
Facade du Conseil d’État – Wikimedia – Copyright © 2003 David Monniaux
Schéma explicatif du contentieux lié au CEE – Planetanim – Copyleft Lapin

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