et malheureusement pas imprimable ni tĂ©lĂ©chargeable, on peut mĂȘme plus bosser dans l’train đ„
La thĂšse de Jean-Marie Bataille est disponible sur le net, bon faut se taper la lecture sur l’ordi, ce qui est infaisable:
IntĂ©ressant en effet. Par exemple l’idĂ©e que ces colos oĂč l’on envoie les enfants, avec un “tranchage” au niveau des Ăąges… Tranchages de plus en plus prĂ©cis d’ailleurs : colos 6-8 ans, … oĂč l’idĂ©e qui devrait ĂȘtre de
de séparer pour faire fusionner au monde
serait plutĂŽt de
de sĂ©parer en mettant Ă l’Ă©cart
Dans quel but ? Dans quel but toute la sociĂ©tĂ© serait ainsi tranchĂ©e sur ce mĂȘme modĂšle, entre les enfants enfermĂ©s dans leurs Ă©coles closes, les malades dans les hĂŽpitaux, les vieux dans des maisons de retraite, les fous avec les fous…
Peut ĂȘtre l’idĂ©e de “diviser pour rĂ©gner”
Les Ă©coles sont des lieux clos, je l’ai dĂ©jĂ Ă©crit et expliquĂ© sur le forum.
Et les colos, c’est la mĂȘme chose. On a beau aller s’implanter dans tel ou tel terroir, les colos restent quelque chose d’artificiellement importĂ©, repliĂ© sur elles-mĂȘmes, dont les seules excursions au dehors restent le loueur de kayak ou de quad, la seule rencontre avec le “terroir”.
Et quand il y a “sortie” ce n’est pratiquement jamais une rencontre avec “ceux d’ici”. On y voit le paysage, puisque ça fait partie du contrat, mais est-ce qu’on y rencontre les indigĂšnes ?
Si la colo est lĂ pour aider Ă la sĂ©paration d’avec les parents, qu’offre t-on Ă la place ? Une animatrice qui joue Ă la maman ? Un directeur qui fait office de papa ? Quelle ouverture vers les autres dans ces espaces clos, oĂč, toujours avec ces dĂ©lirs sĂ©curitaires, on multiplie les rĂšgles qui au lieu d’ajouter de la sĂ©curitĂ©, ajoutent de l’enfermement sur le centre. CĂŽtĂ© dĂ©lire sĂ©curitaire pĂ©dophile, on voit ici, sur le forum, des idĂ©es qui peu Ă peu s’Ă©tablissent de veilles d’animateurs la nuit, d’enclos hermĂ©tique autour des bĂątiments…
Comme pour l’Ă©cole (et mĂȘme en pire) les colos sont des lieux clos, tournĂ©s vers eux-mĂȘmes, oĂč les enfants sont Ă la merci de l’Ă©quipe pĂ©dagogique. DerriĂšre ces murs, il n’y a juste rien entre ces enfants et ses adultes tout puissants. Pas de va et vient entre l’extĂ©rieur et ce monde clos. Je comprends aisĂ©ment que si peu de parents envoient leurs enfants en “colo”.
Je ferais un rapprochement (qui n’est pas fait dans le texte) entre le fonctionnement de ces “colos” et de celui des sectes. On n’imagine pas toutes les caractĂ©ristiques d’une secte que l’on retrouve dans “l’organisation” d’une colo. Avant de se pencher sur la question.
Coupure avec le reste du monde dans un lieu repliĂ© sur lui-mĂȘme, obĂ©issance Ă un gourou seul maĂźtre Ă bord, sĂ©duction au dĂ©part via des brochures allĂ©chantes…
Et cette nouvelle secte aurait choisi comme base de thĂ©ologie, non pas une obscure religion, mais la religion d’aujourd’hui : le “je consomme donc je suis”.
En serrant au plus prĂšs les postes pragmatiques de la communication en centres de vacances, se dĂ©gage ceci : aux jeunes est attribuĂ© le poste de demandeurs, Ă l’instance organisatrice y compris l’Ă©quipe d’animation celui de rĂ©pondeur.
Le centre, d’une certaine façon, reprĂ©sente dĂ©jĂ la rĂ©ponse faite par avance Ă la plus grande partie de la demande des jeunes, puisque s’y trouve “tout ce dont ils ont besoin”.
La demande n’a mĂȘme plus Ă ĂȘtre formulĂ©e puisque la rĂ©ponse est lĂ -prĂ©cession de la rĂ©ponse sur la demande. Mais il en reste certes des choses Ă demander, ça ne manque pas? ça n’arrĂȘte pas-.
Des lieux oĂč l’on nous gave, et oĂč l’on n’attend que le prochain gavage.
Dans ce systĂšme “colo” quand on voit ici ce que sont les animateurs, leurs capacitĂ©s Ă s’intĂ©rroger, leurs capacitĂ©s de remise en question, leurs capacitĂ©s aux doutes, leur questionnement sur cet “Ă©tat d’animateur” sur cet “Ă©tat d’enfance”, on ne peut que craindre ce qu’est une “colo”.
La deuxiĂšme partie du texte nous interroge sur ce que sont aujourd’hui ces colos oĂč l’on apprend Ă rester consommateur avant tout, passif malgrĂ© un dĂ©ploiement d’activitĂ©s, sur cette idĂ©e de demander et de donner, ce gavage institutionnel qu’est une colo.
Quoi qu’il en soit, je m’interroge sur un certain libĂ©ralisme pĂ©dagogique greffĂ© sur l’autoritarisme social de la sĂ©grĂ©gation qui maintient les jeunes en centre de vacances dans le rĂ©gime de la demande, sur cette sorte de rĂ©gression narcissique oĂč ils sont conduits, oĂč pour le coup tout est demandable. Le centre peut-il ĂȘtre un groupe de jeunes infantilisĂ©s demandant tout sans recevoir de rĂ©ponse, servis (nourris, logĂ©s, blanchis, noircis, activĂ©s, animĂ©s) par une escouade d’adultes (directeurs, moniteurs, gardiens, cuisiniers, femmes de service … ) en peine de toujours tomber Ă cĂŽtĂ© dĂšs lors qu’ils rĂ©pondront Ă ce qu’on leur demande ?
Ce qui dĂ©finie aujourd’hui les colos, c’est cette envie d’apprendre aux enfants la consommation de masse, au contraire de ce qui est dit un peu plus bas, sur le livre sur l’historique des colos, et des idĂ©es que l’on a pu avoir en d’autres temps…
Mais dans ctte optique ces colos Ă©chouent forcĂ©ment. Parce que dans cette apprentissage de la consommation, l’enfant est dĂ©jĂ bien armĂ©e pour vivre dans la sociĂ©tĂ© qu’on leur offre.
Une colo n’apprend plus rien aux enfants.
Un article de Dany-Robert Dufour, les deux premiers chapitres ne sont pas inintĂ©ressants…
http://www.ofaj.org/paed/texte2/vacances/vacances.html#Sommaire
Un article de Jean Houssaye autour du lien entre pédagogie institutionnelle et colos.
Une rĂ©cension du bouquin de Laura Lee Downs sur l’histoire des colos
http://laviedesidees.fr/spip.php?page=print&id_article=801
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Merci maman, merci papa
par Christophe Granger [24-07-2009]
Lâhistorienne amĂ©ricaine Laura Lee Downs retrace lâhistoire des colonies de vacances : un beau livre, minutieusement documentĂ© et savamment discutĂ©, qui sait tout Ă la fois dispenser la saveur dâun passĂ© de chair et dâos, et renouveler, par petits bouts, lâintelligibilitĂ© des processus sociaux.
RecensĂ© : Laura Lee Downs, Histoire des colonies de vacances de 1880 Ă nos jours, Paris, Perrin, 2009. 23 âŹ, 433 p.
Repenser lâhistoire des politiques sociales de lâenfance
Il se peut bien quâelles sâabsentent Ă prĂ©sent de la scĂšne estivale, elles ont bel et bien existĂ©, les jolies colonies de vacances. Et mieux que ça, mĂȘme : entre les annĂ©es 1880, celles de leurs balbutiements, et les annĂ©es 1960, moment de leur gloire vĂ©ritable, elles ont tenu, en France, le haut des politiques sociales de lâenfance. DestinĂ©es aux « enfants du peuple », elles ont mobilisĂ© la plupart des courants politiques, rĂ©publicains ou non, retenu lâattention de mĂ©decins, de prĂȘtres et de rĂ©formistes sociaux en tout genre, recomposĂ© aussi le rĂ©pertoire dâexpĂ©riences de plusieurs gĂ©nĂ©rations dâenfants. Ils Ă©taient 100 000 « colons » en 1913, 420 000 en 1936. Mais il y a plus encore : sous ces airs dâ« institution Ă©clatĂ©e », les « colos » ont accompagnĂ©, facilitĂ©, prĂ©cipitĂ© peut-ĂȘtre, lâavĂšnement dâune pĂ©dagogie des loisirs enfantins. Et câest lĂ tout lâobjet que sâest choisi lâhistorienne amĂ©ricaine Laura Lee Downs. Elle en tire un de ces beaux livres, minutieusement documentĂ©s et savamment discutĂ©s, qui savent tout Ă la fois dispenser la saveur dâun passĂ© de chair et dâos, et renouveler, par petits bouts, lâintelligibilitĂ© des processus sociaux.
Que les lecteurs de lâĂ©dition amĂ©ricaine [1] ne rebroussent pas chemin : le passage au français sâest accompagnĂ© dâun complĂ©ment dâenquĂȘte. Un chapitre tout neuf sur les colos des Croix-de-Feu a Ă©tĂ© ajoutĂ©. Et surtout, le questionnement sâest Ă©toffĂ© : le livre lorgne rĂ©solument du cĂŽtĂ© de lâhistoire du rĂ©formisme social. Et il y a beaucoup gagnĂ©. Loin des chronologies imposĂ©es de lâĂtat-providence, il interroge au contraire la longue absence de lâĂtat. Il scrute, par le prisme des colos, la naissance dâune politique de protection sociale de lâenfance populaire, Ă©laborĂ©es par des associations privĂ©es, des municipalitĂ©s de banlieue, etc. Et si Laura Lee Downs convainc, câest quâelle se donne les moyens de son enquĂȘte. Pour rendre compte de la fonction originale des colos dans la France de la IIIe RĂ©publique, elle sâinstalle « au pays » et se fait ethnographe, elle suit une nĂ©buleuse dâacteurs singuliers et restitue les luttes dans lesquels ils sont pris.
Origines des colonies de vacances
Bien sĂ»r, tout nâest pas neuf. Les origines protestantes de lâaffaire, venue de Suisse au moment oĂč sâinstaure lâĂ©cole rĂ©publicaine, sont depuis longtemps documentĂ©es. On savait dĂ©jĂ lâimportance du pasteur Bion Ă Zurich. On Ă©tait familier aussi du pasteur Lorriaux et de sa femme qui, en 1881, Ă©chafaudent Ă Levallois-Perret lâĆuvre des Trois Semaines [2]. DâEdmond Cottinet, poĂšte et philanthrope protestant, un peu moins dĂ©jĂ . Or Ă le suivre, sâĂ©claire la genĂšse des colonies scolaires de vacances, financĂ©es par les caisses des Ă©coles, dirigĂ©es par des instituteurs, et que Cottinet, qui en inaugure la figure en 1883, parvient Ă faire reconnaĂźtre et financer par le conseil municipal de Paris.
Lâambition de ces colonies, on la connaissait bien aussi. Câest celle de lâhygiĂ©nisme social, alors obsĂ©dant, et de la lutte contre les ravages de la tuberculose dans les milieux populaires. AĂ©rer lâorganisme des enfants des villes les plus chĂ©tifs et les plus pauvres, les extirper des taudis oĂč les menacent les bacilles : voilĂ , Ă mi-chemin de la bienfaisance sociale et de la prophylaxie sanitaire, leur raison dâĂȘtre initiale. Elle gouverne le choix des enfants (retenus parmi ceux, souffreteux mais pas encore malades, que les conditions de misĂšre familiale dĂ©signent Ă la maladie), mais aussi la forme du sĂ©jour (au grand air), et lâĂ©valuation des bienfaits au retour. Moins connu, en revanche, est le dĂ©bat qui travaille la forme de ces colonies. Car si chacun sâaccorde Ă cĂ©lĂ©brer lâimplantation des enfants Ă la campagne, lâ« Ă©cole de la nature », la rencontre des hommes et de la terre, deux modes de sĂ©jour sâaffrontent en ces dĂ©cennies initiales : Ă©ducation familiale vs. Ă©ducation collective. Du cĂŽtĂ© des Ćuvres privĂ©es, en effet, lâhostilitĂ© calviniste Ă lâĂ©gard des institutions valorise le principe du « placement en famille » : les enfants sont accueillis Ă la ferme, chez le paysan ; ils y dĂ©couvrent la vie de la ferme, les travaux des champs mais aussi les valeurs morales dont la famille paysanne reprĂ©sente alors le conservatoire. Les colonies scolaires, elles, misent sur un placement collectif. Sur le modĂšle de lâĂ©cole, les enfants sont rĂ©unis dans un Ă©tablissement commun, propice Ă une « collectivitĂ© enfantine », oĂč les « colons » amĂ©liorent leur propretĂ©, leur tenue et leur langage, et oĂč lâentraide et le support mutuel font Ă©prouver Ă chacun les limites de la libertĂ© individuelle. Câest aussi, sur le mode de la rivalitĂ©, le registre que se choisissent les milieux catholiques. Dans les annĂ©es 1890, aux heures de la premiĂšre laĂŻcisation scolaire, les prĂȘtres sont nombreux Ă trouver dans les colonies le moyen de « contrer lâĂ©cole sans Dieu ». Elles prolongent ici les patronages de quartier nĂ©s dĂ©jĂ quelques dĂ©cennies plus tĂŽt. Comme eux, elles mĂątinent les priĂšres et le catĂ©chisme de jeux collectifs, dâactivitĂ©s pratiques et sportives. Lâ« intimitĂ© continuelle » est centrale. Elle permet aux prĂȘtres, se substituant ainsi aux mĂšres, de suivre lâenfant, de surveiller ses efforts, de lâencourager ou de « lui ouvrir les yeux sur ses dĂ©fauts ». Ils sâinvestissent dans les jeux, partagent les rĂ©crĂ©ations, Ă©laborant ainsi les conditions dâune « pĂ©dagogie active » pour partie inĂ©dite.
De la « vie Ă la colo », ce livre sait faire revivre les inflexions anodines. Il prend pour objet les travaux dâaiguille, les chants, les promenades, les reprĂ©sentations thĂ©Ăątrales et les « petites guerres ». Autant de rĂ©alisations concrĂštes dâune pĂ©dagogie de lâĂ©tape, du cheminement : les enfants sont orientĂ©s vers un devenir ; les « colos » doivent les aider Ă grandir, Ă devenir des adultes, qui sauront se montrer sĂ©rieux et responsables. Et de ce point de vue, en spĂ©cialiste de lâhistoire des genres [3], Laura Lee Downs trouve lĂ lâoccasion, oblique souvent, dâobserver Ă lâĆuvre le jeu des diffĂ©rences de sexe derriĂšre la figure neutre et universalisante de lâenfant. Câest sur ce socle, au grĂ© de discordes initiales, que se structure un espace neuf des politiques et des conceptions de lâenfance, que des rĂ©seaux se consolident, que des maniĂšres de faire sâĂ©laborent.
Formation dâun espace pĂ©dagogique
De cette histoire, lâentre-deux-guerres inaugure le second temps. Celui du tournant Ă©ducatif des colonies. Celui aussi de leur institutionnalisation. Elles sâinscrivent dans lâarsenal sanitaire du relĂšvement de la Nation, et sâoffrent dĂ©sormais Ă la rĂ©alisation de volontĂ©s politiques dâhorizons diffĂ©rents. Le socialisme municipal y puise alors un ressort privilĂ©giĂ© de sa politique de lâenfance. Direction Suresnes, pour en juger. Ici, Henri Sellier, Ă©lu maire en 1919, en fait un service municipal Ă part entiĂšre, gĂ©rĂ© directement par une commission propre, et mis entre les mains des assistantes scolaires de la commune. La colonie, sous cette forme nouvelle, a une visĂ©e mĂ©dico-sociale : elle doit arracher les enfants des familles ouvriĂšres aux conditions urbaines dĂ©lĂ©tĂšres, bien sĂ»r, mais aussi, quitte Ă prendre une forme coercitive, dĂ©jouer la fatalitĂ© sociale dâune existence familiale rude et inĂ©galitaire. La formule retenue est celle du placement familial. Les petits Suresnois partent 6 semaines chaque Ă©tĂ© sâĂ©battre en plein air chez des paysans de la NiĂšvre. Souple et bon marchĂ©, ce mode de placement autorise le rapprochement du citadin et du rural, si cher aux socialistes. Mais il souffre de lâabsence dâun vĂ©ritable programme dâanimation. Et bientĂŽt le seul hygiĂ©nisme ne suffit plus, le placement familial sâeffondre. La crise que la colonie traverse vers 1935 marque, Ă sa façon, lâirrĂ©sistible ascension dâun autre modĂšle de colonie, collective celle-ci et rĂ©solument Ă©ducative. PliĂ©e aussi aux rivalitĂ©s idĂ©ologiques qui travaillent le pays. En ces annĂ©es, voilĂ que sâavive la politisation de la protection de lâenfance populaire.
Le livre arpente ici deux domaines. Celui dâabord des municipalitĂ©s communistes. Direction Ivry, cette fois, devenu communiste en 1925. Sur lâĂźle de RĂ©, un temps, puis aux Mathes (Charente-Maritime), est installĂ©e une colonie de vacances collective. Elle est encadrĂ©e par des Ă©lus municipaux. Au programme des rĂ©jouissances : gymnastique, dĂ©couverte de la mer, promenades, jeux et vie collective. Mais lâessentiel rĂ©side dans la formation dâune « RĂ©publique des enfants ». La colo, mixte, mise sur une relation dĂ©mocratique entre lâenfant et lâadulte. Ă lâautoritĂ© dâun directeur, est prĂ©fĂ©rĂ©e une sorte dâauto-administration enfantine, qui fait Ă©prouver Ă chacun le rĂŽle de la collectivitĂ©. Des « commissions » sont chargĂ©es de la discipline, des jeux ou de lâhygiĂšne. Et les dĂ©cisions se prennent par le biais de la libre consultation des colons. La colo dĂ©livre ainsi une pĂ©dagogie communiste de la vie ouvriĂšre. Elle dĂ©veloppe la fiertĂ© dâappartenance de classe, comme y encourage alors le pĂ©dagogue Kurt LĆwenstein. Et outre le travail collectif des Ă©quipes, des causeries Ă©ducatives sont lĂ pour favoriser la prise de conscience des problĂšmes sociaux et politiques.
Ă lâextrĂȘme droite, autre territoire, le mouvement des Croix-de-Feu et du Parti social Français ne tarde pas Ă monter ses propres colos. Sous la direction dâune petite armĂ©e dâassistantes sociales, elles ont pour but avouĂ© de pĂ©nĂ©trer les milieux ouvriers. Contre le « laisser-aller » des autres colonies, pour la cause nationaliste et anti-communiste, elles dĂ©fendent la « rĂ©novation de la Patrie ». VouĂ©es Ă lâinculcation de la discipline, du sacrifice et de lâoubli de soi, sous une apparence militariste, ces colos sont conçues comme une Ă©cole de formation des futurs « chefs » dâune sociĂ©tĂ© bien ordonnĂ©e. Elles dĂ©veloppent une pĂ©dagogie du retour Ă la nature et du dĂ©veloppement physique, propres à « faire de solides gaillards » et des « Français parfaits, dignes continuateurs de [leur] race et de [leur] lignĂ©e ». Bref, il sâagit de former une Ă©lite parmi les enfants ouvriers.
Aussi incompatibles quâelles soient ces entreprises marquent le triomphe du nouveau rĂŽle dĂ©volu aux colos : Ă©duquer lâenfant. Et câest dans ce cadre neuf, sur lequel pĂšsent les multiples bouillonnements de lâĂ©ducation nouvelle et des mouvements de rĂ©forme pĂ©dagogique, que se pose en ces annĂ©es la question de leur encadrement : le surveillant se fait moniteur. Comment sâĂ©tonner de voir lâĂtat sâemparer de la question aux heures du Front populaire ? Fin 1936, sous le patronage de Zay et de Lagrange, sont crĂ©Ă©s les CEMEA (Centres dâentraĂźnement aux mĂ©thodes dâĂ©ducation active), destinĂ©s Ă former les animateurs de ces colos. Lâinfluence scoute est nette. Elle ordonne les techniques du chant populaire, de la gymnastique et du « grand jeu », oĂč les enfants se rĂ©vĂšlent « tels quâils sont », et dont les moniteurs ont Ă faire le socle de leur pĂ©dagogie estivale. Mais ce nâest pas tout. La conception dĂ©mocratique qui prĂ©vaut fleure bon lâĂ©ducation populaire. Il sâagit dâĂ©loigner les enfants des spectacles de masse, dâaiguiser leur ouĂŻe et leur vision, de les rendre autonomes en leur faisant dĂ©couvrir la culture rurale et populaire. Ainsi priment « les chansons populaires » et les « jeux de tradition enfantine ». Et pour longtemps, note L. L. Downs, dans et par la colo, la simplicitĂ© supposĂ©e de lâenfant sâaccorde Ă celle attribuĂ©e aux cultures populaires. VoilĂ qui couronne, en tout cas, le tournant pĂ©dagogique des colonies.
Le livre, on lâaura compris, Ă©chappe Ă la monographie que laisse supposer son titre. Il invite Ă prendre au sĂ©rieux les colos. Il documente les formes et les logiques de la protection sociale de lâenfance populaire, marquĂ©e par la pluralitĂ© des origines et des ambitions, que nâa pas abolie la reconnaissance par lâĂtat. Il Ă©claire aussi le « long passage » qui, du milieu du XIXe siĂšcle au milieu du suivant, voit basculer le « rĂ©gime » historique des relations entre lâenfant, le travail et la famille : la conception ancienne qui tenait lâenfant des classes populaires pour un petit travailleur a fait place Ă une nouvelle qui voit en lui un futur citoyen quâil faut protĂ©ger et scolariser. Les nuances, bien sĂ»r, seraient les bienvenues.
Parmi elles, dĂ©jĂ , les conditions de lĂ©gitimation et dâautonomisation des colos : dans le bazar initial des « Ćuvres » de vacances en tout genre (classes, promenades, foyers, etc.), destinĂ©es aux enfants du peuple, la spĂ©cificitĂ© des colos nâa rien de lâĂ©vidence prĂ©alable que lui attribue L. L. Downs. Et sans doute gagnerait-on Ă analyser combien les discours initiaux, ceux qui mettent en ordre les origines prĂ©sentables des colos (et dont le livre fait en la matiĂšre lâessentiel de sa documentation), procĂšdent des stratĂ©gies que dĂ©ploient les milieux rĂ©formateurs pour assurer la formulation officielle du problĂšme social que les colos viennent rĂ©soudre. La formation du temps des vacances, rapidement allongĂ© en ces annĂ©es, et chargĂ© de nouveaux enjeux, ouvre une voie dâexploration dont on ne peut faire ici lâĂ©conomie : celle de la rĂ©forme des temps pĂ©dagogiques. Il vaudrait la peine, aussi, de questionner Ă lâaune de critĂšres moins dĂ©finitifs lâabsence de lâĂtat : lâimplantation dâune pĂ©dagogie des « jeux scolaires » dans lâĂ©cole rĂ©publicaine des annĂ©es 1890 (contre les airs militaires de lâĂ©ducation physique), viendrait nuancer la chronologie. De mĂȘme, la politisation des loisirs enfantins, dans lâentre-deux-guerres, ne rĂ©side pas que dans les univers ici juxtaposĂ©s : sous la neutralitĂ© des politiques dâĂ©quipement et dâincitation auxquelles se livre alors lâĂtat, rĂ©side autre chose quâune simple absence.
Et justement, on se rĂ©jouira des discussions sans nombre que cet ouvrage, sâoffre Ă alimenter. Car lĂ est bien lâessentiel : loin des lieux communs, il dĂ©signe dâinnombrables pistes dâexploration Ă la curiositĂ© des historiens.
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Notes
[1] Laura Lee Downs, Childhood in the Promised Land : Working-Class Movements and the Colonies de Vacances in France, 1880-1960, Durham, Duke University Press, 2002.
[2] Lâhistoire des colos a dĂ©jĂ ses ouvrages dâautoritĂ©, parmi lesquels : Philippe-Alexandre Rey-Herme, Les Colonies de vacances en France, 1906-1936. Lâinstitution et ses problĂšmes, Paris, Fleurus, 1961. Et AndrĂ© Rauch, Vacances et pratiques corporelles. La naissance des morales du dĂ©paysement, Paris, PUF, 1988.
[3] Lire notamment Laura Lee Downs, LâInĂ©galitĂ© Ă la chaĂźne. La division sexuĂ©e du travail dans lâindustrie mĂ©tallurgique en France et en Angleterre, Paris, Albin Michel, 2002, et aussi Writing Gender History, Londres, Arnold Press, 2004.
Merci solléana.
C’est lĂ :
« Comment faire appel Ă âlâinstinct viril du garçonâ ? La pĂ©dagogie du jeu et la formation de lâenfant au masculin : Les Scouts de France, 1920-1940 », LâEternel masculin, numĂ©ro spĂ©cial des Cahiers Masculin/FĂ©minin de Lyon 2, n°4, Presses Universitaires de Lyon, automne, 2003, p. 55-62.
solleana a Ă©crit:
Elle avait déjà écrit un article sur le lien entre scoutisme et développement de la virilité.
Avé solleana.
Si tu avis les rĂ©fĂ©rences de l’article, merci.
Je serais tres curieux de lire cela.
Du nouveau cĂŽtĂ© histoire des colos, c’est la traduction lĂ©gĂšrement remaniĂ©e de l’ouvrage de l’historienne amĂ©ricaine Laura Lee Downs qui propose une histoire des colos:
http://www.editions-perrin.fr/fiche.php?F_ean13=9782262024680
Pas encore lu mais ça ne saurait tarder… Elle avait dĂ©jĂ Ă©crit un article sur le lien entre scoutisme et dĂ©veloppement de la virilitĂ©.
Les colonies de vacances : Domaine privilĂ©giĂ© de l’Ă©ducation populaire, Jacques Chauvin (2008)
Les classes de dĂ©couverte ou l’Ă©cole hors les murs de l’Ă©cole par Jacques Chauvin (2003)
Bonjour Ă tous,
Pour les curieux qui souhaite trouvĂ© des petites perles de littĂ©ratures en pĂ©dagogie et expĂ©riences ‘hors-normes’ je vous propose d’aller sue le site de Philippe Meirieu.
Et là cher confrÚre bonne dégustation de recherche de bonheur!
bonne continuation et bonne formation Ă la vie!
solleana a Ă©crit:
Je ne souscris pas non plus Ă la totalitĂ© de l’article, je le propose car je trouve que les rĂ©flexions sur l’Ă©duc pop sont rares…Je pense que pour en discuter il est plus utile d’ouvrir un autre sujet, conservons celui-ci pour proposer ou rĂ©fĂ©rencer des textes non?
ok, et je finirai quand mĂȘme de lire l’article un de ces jours đ
Je ne souscris pas non plus Ă la totalitĂ© de l’article, je le propose car je trouve que les rĂ©flexions sur l’Ă©duc pop sont rares…
Je pense que pour en discuter il est plus utile d’ouvrir un autre sujet, conservons celui-ci pour proposer ou rĂ©fĂ©rencer des textes non?
ChĂšre Solleana, j’ai lu avec attention ce que tu nous prĂ©sentes (je parle des liens, pas des bouquins :-D) et concernant le 1er lien, j’y vois dĂ©jĂ un souci.
Se plaignant dĂšs le dĂ©but du “communautarisme” (qualifiĂ© de pluie acide dangereuse, ce avec quoi je suis tout Ă fait d’accord), l’auteur enchaĂźne immĂ©diatement avec une pique contre l’UFCV en critiquant sa position laĂŻque et en lui reprochant son origine (fondĂ©e par des pasteurs). Mais dans quel monde vit-on ??? đź
Je suis convaincu qu’une des choses qui fait le plus de mal Ă notre sociĂ©tĂ© actuelle dans ce domaine, c’est bien la confusion des genres et l’amalgame de termes qui sont totalement dĂ©tournĂ©s de leur sens. Rien n’oppose la laĂŻcitĂ© Ă la religion. Je crois que l’on avait dĂ©jĂ eu un dĂ©bat lĂ -dessus…
Cette position (ĂŽ combien rĂ©pandue !!) haineuse envers tout ce qui touche Ă la religion, dĂ©montre clairement l’idĂ©ologie de l’auteur en question et, Ă mes yeux, discrĂ©dite complĂštement le reste de l’article… c’est bien dommage.
Concernant le CEE, cela m’Ă©claire un peu plus sur les tractations qui ont pu avoir cours lors de sa naissance. J’y lis d’ailleurs :
Au sein des associations, des militantes et militants s’opposent Ă ces dĂ©rives libĂ©rales et les syndicats d’animateurs n’ont pas renoncĂ© Ă s’opposer Ă ces textes dans le cadre du combat social mais aussi au niveau juridique.
Qu’en est-il aujourd’hui? Est-ce que ces dĂ©marches ont fait bougĂ© quelque chose ou bien ont-elles Ă©tĂ© Ă©touffĂ©es par des intĂ©rĂȘts “supĂ©rieurs” ? (aucune critique ici, je te rassure ;-)).
:coucou:
Pour les bouquins peut ĂȘtre sont ils disponibles sur Priceminister ou autre site de vente de bouquins d’occasion.
Pour le fichier, il s’ouvre avec Word normalement.
Salut Solleana (A qui je parle d’ailleurs ? Sollea ou Ana ?)
RĂ©investir la banlieu… Je suis pas sĂ»r que les grosses associations de l’Education populaire aient envie de ça… Qu’auraient-elles Ă y gagner ?
Le premier texte est l’occasion d’apprendre pas mal de choses sur l’EP.
Parmi les livres que tu cites plus haut, certains sont difficiles (voir impossibles) Ă trouver.
Et ton fichier attachĂ©, il s’ouvre avec quoi ?
Pour continuer voici quelques liens vers des textes de Jean François Chalot qui dĂ©nonce clairement l’Ă©volution de l’Ă©ducation populaire vers la marchandisation et l’institutionnalisation bureaucratique:
http://www.ripostelaique.com/Condorcet-Si-tu-savais-Histoire-et.html
(Celui ci est plutÎt axé sur la laïcité)
http://www.emancipation.fr/emancipa/spip.php?article284
En piĂšce jointe, un texte sur le CEE…
(edit pour ajouter le mĂȘme texte en pdf pour les allergiques Ă word)
Sur l’Ă©ducation populaire, cette petite reprĂ©sentation thĂ©Ăątrale est trĂšs talentueuse et Ă©voque justement cette Ăducation Populaire ou Culture Institutionnelles.
http://www.scoplepave.org/conf_vid.html
SCOP Le Pavé
A voir aussi:
Franck Lepage, Incultures, une critique acerbe de la soumission de l’Ă©ducation populaire et de la culture Ă la domination institutionnelle…