bijouuur!!!
super texte!!!
ça fait vraiment plaisiiir des analyyyses comme celle de frytjip sur un sujet aussi interressantpour nous anims!!!
bonne continuation!! à tous. rabizzz 😮 :thx:
Hello!
Dis voir frytjip, tu serais motivé stp a nous faire un résumé de ton texte…? Moi il m’intéresse, mais il y a carrément trop à lire! jsuis un pti peu fainéante sur la lecture… loool
Jte remerci d’avance!
Mathusalem a écrit:
Bon on digère ça et on t’en parle
Tu a tout lu?
La vache quand tu files une contribution tu ne lésines pas…
Bon on digère ça et on t’en parle
Note aux modérateurs de forum : je n’ai pas su où placer ce post dans le forum d’où sa place dans Divers.
Voici un texte fortement intéressant que je vous invite à lire et à commenter.
« L’éducation populaire aux prises avec la société de l’information : potentialités, risques et particularités »
Nathalie Boucher-Petrovic
Comment expliquer que des acteurs de l’éducation populaire fassent à leur tour référence à une société dite « de l’information », et semblent ainsi s’inscrire dans ce projet à visée fédératrice porté aujourd’hui en grande partie par les marchands et les pouvoirs publics ? Quels sont les enjeux à l’œuvre dans cette « rencontre » ? L’éducation populaire, outre une histoire longue et plurielle, ne forme pas un ensemble homogène. Elle est toutefois marquée par une philosophie commune oeuvrant dans le sens de l’émancipation sociale, culturelle et politique du peuple. Par ailleurs, les instances politiques et économiques ont besoin du concours et du relais des acteurs sociaux et des citoyens pour réaliser la société dite de « l’information ». Dans ce cadre, les associations seraient le relais du développement de cette société ; l’indispensable médiateur social de ce projet. Les mouvements d’éducation populaire recherchent, quant à eux, un mode d’emploi ; les moyens d’une mise en pratique pouvant servir les intérêts de l’éducation populaire, mais ils questionnent également les finalités inhérentes à ce modèle. En effet, la référence à la société de l’information serait le moyen de réactualiser les problématiques chères aux acteurs de l’éducation populaire, mais également de sortir de la crise de sens à laquelle ils se trouvent confrontés. Enfin, si ce rapprochement semble, à première vue, générer du consensus, les conflits inhérents à la confrontation des valeurs et des identités n’en disparaissent pas pour autant et interrogent les véritables enjeux que recouvre cette rencontre.
S’il s’agit de renouveler les questionnements ayant trait à la diffusion généralisée des réseaux informatiques et des technologies d’information et de communication, et par-là même, d’analyser ce que recouvre le concept de société de l’information, il nous semble que le rapport des mouvements d’éducation populaire à cette dite société ouvre des pistes de réflexion pour le moins intéressantes. En effet, ces mouvements, marqués par des origines historiques riches et plurielles, mais aussi, aujourd’hui, en quête d’identité, permettent de mettre en perspective les problématiques liées aux TIC dans notre société. L’éducation populaire, en tant, que champ de pratiques oeuvrant au cœur du social, réinterroge d’une manière inédite les enjeux socioculturels de l’informatisation sociale. En effet, de par leur ancrage historique et social, ces mouvements, encore trop peu étudiés d’un point de vue sociologique et communicationnel, apportent un éclairage particulier sur le passage de l’informatisation de la société à la société de l’information, ainsi que sur les mutations sociopolitiques actuellement à l’œuvre. Ils permettent également de mettre en évidence les différents rapports aux valeurs sous-jacentes à l’idée de société de l’information et que les mouvements d’éducation populaire s’approprient de manière différenciée.
1. Éducation populaire et Société de l’information : une rencontre improbable ?
Nous verrons dans cette première partie en quoi la référence à la société de l’information par les acteurs de l’éducation populaire n’est pas véritablement fortuite ; elle s’inscrit, en effet, dans une certaine continuité. En outre, nous examinerons certains éléments conjoncturels qui nous semble déterminants dans la concrétisation de cette rencontre. Ces analyses nous permettront d’appréhender le milieu de l’éducation populaire et ses évolutions actuelles.
1.1 Éducation populaire : un champ complexe et un enjeu de pouvoir
Appréhender l’éducation populaire, comprendre ce que recouvre ce terme, son évolution historique, et son statut actuel dans notre société , n’est pas aisé tant ce champ est marqué par une grande complexité. La multitude de définitions cherchant à la caractériser montre que la définition même du champ constitue un enjeu qui dépasse de loin le seul cadre discursif et s’apparente bien à un enjeu politique. Il s’agit d’un ensemble de définitions allant de la description de la démarche d’éducation populaire, à celle de ses finalités, qui très souvent dans le même temps réaffirment les valeurs fondatrices de ce mouvement par un rappel à l’histoire.
1.1.1 Un héritage historique éclairant
Forgé au 19ème siècle, le concept d’éducation populaire recouvre cependant une tendance et des idéaux qui sont antérieurs à l’apparition même du terme. Ainsi, le rapport de Condorcet sur l’Organisation générale de l’Instruction publique , qui pour beaucoup de militants, marque le point de départ et de ralliement de ce mouvement, date de la fin du 18ème siècle (1792). Dans ce rapport, Condorcet affirme la nécessité de mettre en place une instruction pour tous à tous les âges de la vie. En effet, l’éducation populaire dans sa composante traditionnelle repose sur une conception humaniste héritée des Lumières qui envisage d’éclairer le peuple en lui apportant le savoir. Le 19ème siècle, pendant lequel vont émerger les classes ouvrières issues de l’industrialisation, verra se développer des cours d’adultes, des sociétés et bibliothèques populaires, des bourses du travail, des universités populaires, des mutuelles, des coopératives, puis de grandes associations (avant la loi sur le contrat d’association de 1901) comme La Ligue de l’enseignement (1866). On commence alors à parler d’éducation populaire. Tout au long de son évolution, l’éducation populaire subira les aléas de l’histoire sociale dont les conséquences sur l’orientation de ce mouvement seront nombreuses. Elle a en outre, réciproquement, participé de nombreuses évolutions, ne serait-ce que dans la mise en place d’un enseignement laïque, gratuit et obligatoire. S’il ne nous est pas possible ici de retracer ces évolutions, il nous paraît important cependant de noter la diversité des courants qui irriguent l’éducation populaire, afin d’expliquer en partie l’hétérogénéité par laquelle elle se caractérise. Historiquement, l’éducation populaire a été portée par les laïcs républicains, les catholiques (catholicisme social) et les protestants. Au cours du 20ème siècle, l’éducation populaire sera dynamisée par la période du Front populaire (1936), le développement du temps libre et des loisirs, de nombreux mouvements seront issus de la résistance puis de la libération. Cette période marque le début du processus d’institutionnalisation de l’éducation populaire : en 1945, Jean Guéhenno sera chargé de la Direction de l’Éducation populaire, « la première véritable organisation officielle de l’éducation populaire » (Cacérès, 1964, p. 151). L’institutionnalisation se fera ensuite par le biais du système d’agrément et par la mise sous tutelle ministérielle, enfin à partir des années 60, tout un pan de l’éducation populaire se confondra avec l’animation socioculturelle, l’éducation permanente , les politiques d’insertion…etc. Ainsi, basés au départ sur le militantisme et le bénévolat, les mouvements et les acteurs de l’éducation populaire se voient peu à peu professionnalisés et intégrés à des dispositifs publics. Pour beaucoup d’observateurs, cette évolution marque le déclin de l’éducation populaire : instrumentalisation, professionnalisation, spécialisation, fonctionalisation (Carton, 1995). Nous verrons dans le chapitre suivant que c’est de là qu’émerge une volonté dont les acteurs se sont saisis depuis quelques années, de réinterroger ce mouvement qui traverse une crise de sens.
Ce bref aperçu historique aura permis, nous l’espérons, de mieux comprendre les cadres historiques, sociaux et idéologiques qui conditionnent les représentations que les acteurs de l’éducation populaire élaborent par rapport au mouvement dont ils se réclament. L’éducation populaire se définissant, selon les cas, en référence à :
des finalités telles que l’émancipation (sociale, culturelle et politique) du peuple, la formation critique des citoyens, l’engagement individuel et l’appréhension des problématiques de nos sociétés pour y agir en conséquence ,
un travail de la culture dans la transformation sociale (Lepage, 2001, p. 1), un travail consistant à interroger les représentations (Lepage, 2001, p. 40), un travail rigoureux de transformation de l’expérience quotidienne du monde populaire en savoir stratégique et en action collective, c’est-à-dire en travail d’engagement civique (Carton, 1998 b.)
la dimension culturelle de la production de l’action collective (Carton, 1995, p. 6), un droit à l’intelligence politique (Douard, 2000), une démarche de conscientisation (Freire, 1974), une idéologie, une pratique sociale, un champ de pratiques, un état d’esprit militant (Poujol, 1995)
1.1.2 Une réalité très hétérogène
On compte environ 880.000 associations déclarées en France et 60.000 créations d’associations chaque année, ce dernier chiffre atteste d’un certain dynamisme associatif. Parmi ces associations, 432 d’entre elles sont labellisées par l’agrément Jeunesse et Éducation populaire (au niveau national), de nombreuses autres associations disposent, quant à elle, de l’agrément local. Dans cet ensemble hétérogène, on trouve à la fois des fédérations historiques (La Ligue de l’enseignement, Léo Lagrange, Peuple et Culture…) et des petites associations agissant localement sur un terrain ou un domaine très spécifique. Selon Poujol, l’éducation populaire se situe dans l’espace social laissé libre par les églises, les syndicats, l’école, les entreprises (Poujol, 1980, p. 108) et se veut complémentaire au système scolaire.
Cependant, définir l’éducation populaire n’est pas aisé, au vu des différents héritages qu’elle invoque, des évolutions voire transformations dont elle a pu faire l’objet, au vu également, des conflits internes entre grandes fédérations et jeunes associations se réclamant de l’éducation populaire (ex : ATTAC), ou encore des nouveaux mouvements qui ne s’en réclament pas explicitement mais que l’on peut rapprocher d’un projet d’éducation populaire. Ainsi, l’éducation populaire, semble renaître au travers de multiples projets de plus en plus diversifiés, certains y voient le signe d’une nouvelle actualité. La rencontre, que nous tentons ici d’analyser, entre éducation populaire et société de l’information, serait une des manifestations de cette actualité.
Un peu partout, sous les dénominations les plus diverses, émergent de nouveaux projets d’éducation populaire : ville éducatrice, maisons du savoir et de la citoyenneté, université de tous les savoirs […] Cette floraison n’a évidemment rien de fortuit. Si la « vieille » utopie de l’éducation populaire connaît une nouvelle actualité c’est qu’elle répond aux préoccupations les plus modernes […] (Richez, 2000, p. 2).
En effet, fortement ancrée dans le tissu associatif, l’éducation populaire ne saurait cependant se réduire ni au seul milieu associatif, ni aux seules associations labellisées par l’agrément Jeunesse et Éducation Populaire, ni encore aux seuls mouvements faisant explicitement référence à ce terme. Ces particularités renforcent encore la complexité de ce que représente et recouvre aujourd’hui la notion d’éducation populaire ; cette « nébuleuse au sein d’un monde associatif d’une diversité extrême » (Pantchenko, 2000, p. 6). C’est bien d’un ensemble très hétérogène dont il s’agit, même si certaines valeurs communes sont mobilisées de manière récurrente, celles-ci servent justement à la construction et au maintien d’une identité univoque forgée par un héritage historique puissant. Ainsi, malgré ces valeurs fédératrices, l’éducation populaire reste hétérogène et pétrie de conflictualité, comme l’écrit Poujol : « autre mythe qui a la vie dure, le mythe de l’unanimisme, alors que la réalité militante est faite d’oppositions, de conflits et de rivalités parfois sans espoir » (Poujol, 1980, p.1). De même pour Luc Carton « L’éducation populaire est le fruit d’une pluralité d’ascendances, de descendances et d’appartenances. Pourtant, cette pluralité ne suffit pas à en faire un ensemble cohérent, sauf à énoncer le référent démocratique, certes inhérent à la démarche de l’éducation populaire mais encore insuffisant à la définir. » (Carton, 1998 a.).
L’éducation populaire, outre une histoire longue et plurielle, ne forme donc pas un ensemble homogène, mais elle est toutefois marquée par une philosophie commune oeuvrant dans le sens de l’émancipation sociale, culturelle et politique du peuple. Mais de quel peuple est-il ici question ? À qui s’adresse l’éducation populaire ? Pour qui se mobilisent ses acteurs ? Que recouvre le terme « populaire » dans l’éducation populaire ?
1.1.3 Éducation populaire : pour qui ?
Historiquement, les mouvements d’éducation populaire se sont adressés aux ouvriers, mais de manière individuelle et dans une tentative de rapprochement des classes (Poujol, 1980, p. 21).
D’une manière générale, cherchant à pallier les déséquilibres, elle s’adresse aux victimes d’inégalités sociales et culturelles, aujourd’hui les jeunes comme les adultes sont d’éventuels publics pour l’éducation populaire qui affirme une volonté de non-discrimination. En effet, l’éducation populaire se veut avant tout une éducation pour tous (Cacérès, 1964, p. 170). Le terme populaire affirmant « la volonté de s’adresser à toutes les couches de la population, avec une attention toute particulière pour celles qui sont en situation de non possession des avoirs, savoirs ou pouvoirs légitimés. » (Degée, 2003)
Selon Maurel (2000, p. 56), il existe trois conceptions du peuple et ainsi trois principes d’action qui en découlent respectivement, or, ces trois conceptions sont contradictoires voire même conflictuelles. La conception politique du peuple issue du 18e siècle, il s’agit du peuple appelé à s’exprimer par le vote soit d’un ensemble de citoyens souverains constitutifs de la volonté générale transcendant la diversité des individus (légitimité de l’universel, Loi Condorcet… etc). À cette conception s’ajoute la conception sociale du peuple où ce dernier représente la fraction souffrante pouvant rassembler des personnes et groupes sociaux qui ne participent pas à la volonté générale. Enfin, la conception anthropologique du peuple entendue comme une communauté régie par une appartenance identitaire. Or, l’éducation populaire situe son champ d’action au croisement de ces trois conceptions. Dans un tel contexte ; « les questions posées au praticien de l’éducation populaire et du travail de la culture sont les suivantes : comment faire société autour de valeurs et de savoirs qui devront se construire à partir d’une telle diversité d’engagements contradictoires ? » (Maurel, 2000, p. 61). Il y a donc une diversité des publics sur lesquels l’éducation populaire entend agir.
Ces éléments vont nous permettre à présent d’aborder la question de la rencontre entre l’éducation populaire et la société dite de l’information. Il s’agit de comprendre pourquoi certains acteurs de l’éducation populaire font référence à la société de l’information, d’abord dans les discours, et parfois, en lien avec des pratiques. Les éléments abordés auparavant ont permis d’examiner la situation actuelle du champ de l’éducation populaire, ce faisant, il nous revient maintenant de mettre en perspective ces éléments afin d’expliquer en quoi il y a rencontre, pour quelles raisons et le sens qu’elle revêt au vu des évolutions que traverse l’éducation populaire.
1.2 Éducation populaire et société dite de l’information : une rencontre attendue
Malgré des appartenances idéologiques variées, d’un côté comme de l’autre, la rencontre entre les mouvements d’éducation populaire et la société de l’information peut s’expliquer par certaines filiations et un contexte favorable.
1.2.1 Des filiations certaines
Si en premier lieu, l’adoption du concept de société de l’information par les acteurs de ce mouvement peut sembler surprenante, reste que ce rapprochement procède d’une filiation forte entre les préoccupations fondamentales de l’éducation populaire et les nouvelles formes d’exclusion et promesses qu’engendre la société de l’information. Certains secteurs de l’éducation populaire sont en effet très ouverts aux objectifs et à la thématique de la société de l’information. Mais, en cela, ils sont fidèles à une tradition d’innovation dans l’utilisation des médias. Cette tradition remonte d’ailleurs au tout début du XIXème siècle, « Les associations d’éducation populaire du milieu du siècle dernier ont accompagné une forme de réflexion populaire adaptée aux contraintes technologiques (qu’on pense aux ciné-clubs) […] (Le Crosnier, 2002). Le projet d’appropriation des outils apparaît donc comme un élément constant dans le champ de l’éducation populaire. De même que les débats autour de la société de l’information portent sur d’anciennes problématiques récurrentes et concomitantes aux innovations techniques.
Appréhendée par ses propres militants comme un outil de transformation sociale, l’éducation populaire place la culture au centre de sa démarche en ce qu’elle permet de travailler sur la représentation de l’environnement et ainsi d’y pouvoir agir. En ce sens, la maîtrise des outils spécifiques à une société marquée par l’augmentation des flux technologiques et informationnels représente-t-elle un des pendants de ce travail sur l’environnement et sur la représentation. Aussi, dans une perspective de démocratisation du savoir, l’éducation populaire a-t-elle toujours cherché à intégrer les supports et outils de ce savoir : la presse, le livre, le cinéma, la télévision et aujourd’hui les ordinateurs, les réseaux informatiques, Internet…, dans son travail éducatif. On le voit, la démarche d’éducation populaire n’est pas, dans son essence, opposée à l’utilisation des médias et des nouvelles technologies de l’information et de la communication, si tant est que ceux-ci s’intègrent dans un projet d’éducation populaire.
Donner les moyens à tout un chacun, de connaître, de comprendre et d’agir dans la société, pour s’émanciper et ne pas la subir : tel est en effet, l’objectif que se donnent les acteurs de l’éducation populaire. Or, les technologies d’information et de communication représentent un outil pouvant aller dans ce sens. Encore faut-il qu’elles soient intégrées à une démarche d’éducation populaire, c’est sur ce point, que l’accent est mis par la majorité des acteurs de l’éducation populaire. Ainsi, cet objectif est-il clairement explicité dans le Livre blanc de l’éducation populaire : « L’enjeu est bien de ne pas ignorer ce mode de communication, mais de se l’approprier (…) » (Leterrier, 2001, p. 55). On trouve également la nécessité de se conformer à l’innovation, de ne pas rester dans les marges, de ne pas s’exclure : « Puisque l’utilisation des outils de la société de l’information devient une preuve de normalité, l’égalité des chances et l’accessibilité du plus grand nombre à ces outils est un impératif » (Leterrier, 2001, p. 55). Pour d’autres acteurs de l’éducation populaire, la société de l’information est société d’écrans et ceux-ci font profiter, tout autant qu’ils menacent, les pratiques de l’éducation populaire. Il y aurait certaines filiations entre les écrans de la société de l’information et l’éducation populaire en tant qu’éducation hors les murs. Comme l’indique Jacques Demeulier, Directeur général des Céméa : « Les écrans sont […] le compromis idéal entre la culture et le loisir. Ils incarnent tout l’enjeu de l’éducation populaire : apprendre hors les murs. […] Le combat pour intégrer les écrans dans les projets populaires est donc encore devant nous. » (Demeulier, 2000)
Le tableau ci-dessous rassemble quelques points de convergence :
Enjeux sociaux Forme démocratique Portée et matérialité Pratique Contexte
Éducation populaire Éducation pour tous, sans discrimination, promotion individuelle et collective Démocratisation culturelle, faire du citoyen un acteur Universalisme et travail dans les marges Tradition d’utilisation des médias,
traditionnellement non formel et non institutionnel Nouvelle phase de rupture, crise d’identité
Société de l’information Accès pour tous à l’information, Démocratie participative (discours sur la démocratie électronique et l’interactivité) Globalisation, décloisonnement des frontières, réseaux, dématérialisation Focalisation sur les médias et les TIC, médiation technique
Stabilisation des discours programmatiques
La mise en lumière de ces filiations et points de convergence nous éclaire sur les raisons qui poussent au rapprochement de l’éducation populaire et de la société de l’information. Certaines particularités de ce modèle de société s’inscrivent, pour partie, dans le champ d’action et dans les manières de faire des acteurs de l’éducation populaire. De là procède cette volonté d’explorer, à leur manière, le potentiel du projet de société de l’information. En effet, comment l’éducation populaire pourrait-elle ignorer les possibles induits par ce modèle ? Ainsi, la démocratisation est revendiquée par les promoteurs et les pouvoirs publics pour légitimer les politiques mises en oeuvre, tandis qu’elle est la finalité primordiale de l’éducation populaire, la raison première du recours à la technique. En effet, la thématique de l’accès au plus grand nombre sert les intérêts des acteurs de l’éducation populaire, mais elle est également centrale au sein du discours dominant sur la société de l’information. À l’accès s’ajoute la thématique liée à la capacité de chacun de produire des messages, de pouvoir agir, (enjeu pour l’éducation populaire, et argument des promoteurs de la société de l’information). En effet, cette problématique donne une autre ampleur au problème ; elle pose la question de savoir si les dispositifs propres à la société de l’information sont de nature à faciliter l’accès à l’espace public ou bien s’ils ne donnent que l’illusion d’aller dans ce sens. Aussi, le thème de la lutte contre la fracture numérique cristallise-t-il, selon nous, toute la complexité du rapport de l’éducation populaire à la société de l’information.
1.2.2 Une conjoncture propice : la crise du symbolique
Cependant, les incantations quant à la mise en place de la société de l’information tendent aujourd’hui à se cristalliser, et l’éducation populaire se trouve quant elle, à nouveau, dans une phase de redéfinition. Aussi, tant les acteurs de l’éducation populaire que les promoteurs de la société de l’information, se trouvent actuellement dans une phase critique. Cette conjoncture constitue, selon nous, une autre raison de ce rapprochement. En effet, l’éducation populaire cherche à redéfinir son rôle dans la société, tandis que les discours sur la société de l’information se stabilisent (voire s’estompent au profit d’autres concepts). D’où la nécessité pour les promoteurs de la société de l’information de mettre en oeuvre des dispositifs, des lieux, des contenus et des relais pour que se développent des usages. Aussi, l’un peut-il, potentiellement, servir l’autre. Au travers de ce rapprochement, les promoteurs de la société de l’information pourront bénéficier de la légitimité et de la crédibilité sociales de l’éducation populaire (légitimation sociale), et les acteurs de l’éducation populaire, du potentiel de reconnaissance et de visibilité propre à la société de l’information. L’éducation populaire peut constituer un relais et un médiateur pour développer les réseaux numériques, tandis que ces réseaux interrogent les acteurs de l’éducation populaire qui se trouvent dans une phase de rupture et de redéfinition comme en atteste l’offre publique de réflexion sur l’avenir de l’éducation populaire (Lepage, 2001). Aussi, il nous semble que la crise de sens attestée par les acteurs de l’éducation populaire, constitue une des raisons expliquant leur volonté de faire référence au concept de société d’information.
1.2.3 Le pouvoir de la référence et la question de l’adhésion
Cependant, nous voudrions ici distinguer deux niveaux d’approche dans la problématique qui nous occupe : un premier niveau se situe dans l’analyse d’une tradition d’innovation et d’utilisation des objets techniques (comme nous l’avons présenté plus haut), un deuxième niveau se situe dans l’analyse de la référence à un concept tel que la société de l’information. Si nous avons été frappés, au début de nos travaux, par l’apparition de cette référence dans le milieu de l’éducation populaire, nous avons ensuite pu comprendre que cette référence se situait dans une certaine continuité et une logique que l’histoire permettait d’appréhender. Toutefois, si l’utilisation, l’appropriation et l’usage des objets techniques est une chose, la référence à un concept aussi chargé que celui de société de l’information pose d’emblée des enjeux d’une nature différente. Si la rencontre est d’abord discursive, nous verrons comment cette référence en amont des pratiques, recouvre déjà des enjeux considérables. Aussi, notre objectif est-il d’évaluer ces enjeux et d’analyser en quoi, la seule référence, change déjà (avant même de parler de pratiques) la donne. Ce qui nous pousse à situer un premier enjeu au niveau de la production de stratégies discursives, et à considérer que celles-ci sont plus que le reflet des enjeux à l’œuvre : elles seraient le lieu même d’élaboration du politique et donc de la confrontation. Car si l’éducation populaire, comme nous l’avons vu, s’apparente à un champ de pratiques, c’est aussi une idéologie portée par un ensemble de discours. De plus, comme nous l’avons vu l’éducation populaire apparaît comme un champ très hétérogène, et de ce fait, bien que l’on trouve la référence au concept de société de l’information, ce dernier ne sera pas appréhendé de manière uniforme par tous les acteurs du champ.
Pour conclure, nous avancerons que la société de l’information pose donc de nouveaux défis aux acteurs de l’éducation populaire, elle renouvelle les pratiques traditionnelles en les décloisonnant (Pouly, 2001). Partagée entre la fidélité aux valeurs de l’éducation populaire fortement ancrées dans l’histoire, et l’exploration de nouvelles voies liées aux technologies d’information et de communication, l’éducation populaire tend à regarder au plus près ce que la société de l’information transforme, déploie, détruit ou renouvelle. L’adhésion, en ce cas, ne serait donc ni totale ni inconditionnelle, mais la rencontre, elle, est bien réelle et serait peut-être selon les acteurs de l’éducation populaire, le gage d’une possible démocratisation de la société de l’information. Citons ici Jean-Marc Roirant : « nous parions sur une rencontre du troisième type entre la société de l’information et l’éducation populaire. Elle constitue l’une des clés du caractère, démocratique ou pas, de la société de l’information. » (Roirant, 1997).
Histoire complexe, réalité hétérogène, diversité des publics et des domaines d’intervention, l’éducation populaire apparaît comme un champ dont les frontières se construisent et se déconstruisent en permanence. Si certaines filiations montrent en quoi la thématique de la société de l’information procède d’ascendances fortes dans les mouvements de l’éducation populaire, nous verrons que la crise de sens que ceux-ci connaissent met également en évidence les contradictions à l’œuvre dans ce rapprochement.
2. Contradictions et enjeux au cœur de la rencontre avec la société de l’information
Mais que recouvre véritablement cette rencontre ? En quoi la référence à la société de l’information interroge l’éducation populaire, la transforme-t-elle ? Quelles sont les valeurs appelées à se construire ou, au contraire, à se déconstruire ? Quels sont les enjeux pour la délimitation des frontières du champ de l’éducation populaire ? Car, c’est bien l’identité de l’éducation populaire qui se trouve questionnée. En effet, derrière des filiations communes entre les problématiques et valeurs propres à l’éducation populaire et les arguments de la société de l’information, des points de divergence demeurent et interrogent les véritables enjeux à l’œuvre dans ce rapprochement. Quels sont les conflits que met en lumière le rapprochement des acteurs de l’éducation populaire avec la thématique de la société de l’information ?
2.1 Un consensus seulement apparent
En analysant plus en détails le malaise de l’éducation populaire, nous verrons comment la référence à la société de l’information s’agrège sur des problématiques conflictuelles déjà existantes, et comment cette référence met en abyme les contradictions à l’œuvre dans la rencontre entre éducation populaire et société de l’information.
2.1.1 Pacification sociale et conflictualité sociale
Les pouvoirs tentent depuis longtemps déjà d’instrumentaliser le milieu associatif. Or, le champ de l’éducation populaire constitue le lieu symbolique d’une possible mise en tension entre les intérêts venant du sommet et ceux qui émanent de la base. Il est donc essentiel pour les associations d’éducation populaire de se maintenir dans l’ordre social, tout en étant capables de protester quand cela est nécessaire, puisqu’elles viennent, par essence, compléter, voire combler le champ institutionnel.
Ainsi, si l’on considère la société de l’information comme un projet tendant à engendrer de la paix sociale, là encore, l’éducation populaire se démarque. En effet, la volonté de « refonder » l’éducation populaire passe par une réhabilitation du conflit, car « tout se passe comme si la culture politique dominante continuait à être fondée sur la réduction ou l’évacuation des conflits et préférait la recherche obstinée du consensus. Pourtant, le contexte actuel encourage fortement à chercher à redéfinir les débats et les conflits sociaux. » (Carton, 1998 a.). La conflictualité demeure un des principes de construction citoyenne chère à l’éducation populaire. Ainsi « L’éducation populaire renouvelée doit garder sa part de conflictualité et d’autonomie pour favoriser une politique du Sujet, l’émancipation et la promotion sociale d’acteurs désireux de s’engager politiquement dans le monde. » (Boucher, 2001).
Mais, historiquement, l’éducation populaire a aussi été appréhendée comme un moyen pour la pacification sociale : « L’éducation populaire trouve donc son origine durant le XIXe siècle, en une époque de transformations sociales et politiques. Aux yeux de nombreux responsables, éduquer le peuple apparaît souvent comme le moyen de lutter contre les dissidences ouvrières, de parvenir à une pacification sociale. ».
Pour beaucoup, l’éducation populaire serait devenue la béquille d’un système qui génère des inégalités et de la précarité, ce qui pose la question de savoir ce qu’il en est de son rôle de contestation du système. Il ne pourrait y avoir d’éducation populaire sans contestation de la réalité, voire même de subversion : « ce qui fait depuis toujours la légitimité de l’éducation populaire et de l’associatif : sa faculté à subvertir » (Bertin, 2000, p. 42). C’est ce rôle sur lequel s’interrogent les militants : qu’en est-il aujourd’hui alors que de nombreux projets issus d’une démarche d’éducation populaire se sont vus peu à peu institutionnalisés et intégrés à des dispositifs liés aux politiques publiques (dans le cas qui nous concerne, il faut par exemple s’interroger sur les espaces publics numériques) ?
Ces dispositifs se révèlent contraignants et font du champ de l’éducation populaire un espace de soutien, de réparation sociale plus que de remise en question ; un ensemble d’actions destinées à aider à supporter le système plutôt qu’à l’interroger. Ainsi ; « […] les associations d’éducation populaire sont devenues des entreprises de colmatage des brèches du tissu et de la cohésion sociale, des entreprises d’atténuation des effets négatifs et nocifs du capitalisme. ». Cette dichotomie émancipation / intégration fait partie de l’histoire même de ce mouvement : « […] l’éducation populaire sera soupçonnée d’être davantage intégratrice qu’émancipatrice […] Ce couple émancipation/intégration sera une des ambiguïtés majeures de l’éducation populaire durant toute son histoire. ».
À la tension engendrée par cette dichotomie, s’ajoute le manque de reconnaissance de l’héritage de l’éducation populaire : « À chaque fois que nos idées ont gagné du terrain, il y aurait comme effet pervers pour nous […], la non reconnaissance des origines de dispositifs comme le CEL , le CTL, la VAE… ».
Les mouvements d’éducation populaire sont donc pris dans un ensemble conflictuel : entre demande sociale et commandes publiques, entre travail dans les marges et institutionnalisation, entre logique militante et logique gestionnaire (Rousseau, 2001). Dans un tel contexte, la question est de savoir si le projet de société de l’information va dans le sens de la demande sociale, du travail sur les marges et du travail militant, ou, au contraire, s’il intensifie les logiques d’intégration, de commande publique, d’institutionnalisation et de gestion.
2.1.2 Projet technique / projet social
Par ailleurs, l’éducation populaire se fonde sur l’existence d’un projet social spécifique, ancré dans un véritable « humus culturel et social » . Plus généralement, le milieu associatif a ceci de particulier qu’il se fonde sur une dynamique sociale forte, qui semble actuellement bénéficier du développement des réseaux numériques. L’usage de ces réseaux, dans ce milieu spécifique, est marqué par une dimension avant tout sociale avec pour fil conducteur le redéploiement des pratiques sociales préexistantes. Tous les acteurs de l’éducation populaire faisant explicitement référence à la société de l’information s’accordent sur ce point : la primauté du projet social d’éducation populaire sur la technique. Aussi, les acteurs de l’éducation populaire s’attachent-ils à évaluer les potentialités, mais aussi les risques liés au développement de la société dite de l’information, tout en affirmant la nécessité de se saisir des possibles afin de les mettre au service des finalités sociales et éducatives de l’éducation populaire. Nous citerons ici, Christian Gautellier :
[…] Ces enjeux avec leurs contraintes, ne sont pas forcément nouveaux, ils sont très proches d’autres secteurs de contenus comme ceux de l’audiovisuel ou du cinéma, largement investis depuis de nombreuses années, par l’éducation populaire, […]. Les potentialités fortes reconnues des nouvelles technologies de l’information et de la communication font souvent échos aux rêves d’éducation et de culture des acteurs sociaux. Les réalités de leur développement et les contraintes du marché dans lequel elles baignent, nous appellent cependant à une vigilance permanente, d’autant plus que les discours “ techno-utopistes ” sont souvent la seule référence. Un engagement dans des pratiques nouvelles et l’implication des acteurs au-delà de leur statut de consommateurs, comme producteurs de sens, permettront que ces rêves ne soient pas qu’illusions et que ces utopies puissent se concrétiser, au bénéfice de l’ensemble des citoyens. C’est en réalité, le projet toujours d’actualité, de l’éducation populaire. (Gautellier, 1998)
C’est donc seulement dans la matérialité d’un corpus social et d’une identité forte que se joue le rapprochement avec l’idée de société de l’information. Cependant, la société de l’information telle qu’elle apparaît chez les promoteurs économiques et institutionnels ne repose pas sur un projet social préexistant, mais semble bien, surtout, en tenir lieu. Du moins, les avantages sociaux potentiellement engendrés par ces réseaux numériques ne sont pas à l’origine du développement de la société dite de l’information, ce n’est que récemment que la thématique des usages sociaux s’est élargie et que sont mis concrètement en avant les usagers, les usages et les contenus.
2.1.3 Langage et technique : des lieux de lutte
Les points de convergence évoqués dans le chapitre précédent représentent aussi des terrains de lutte, en tant qu’ils sont des arguments consensuels que l’on ne peut véritablement réfuter. Serait-ce là la manifestation d’une forme de violence symbolique telle que la définit Bourdieu ; « La violence symbolique, c’est cette violence qui extorque des soumissions qui ne sont même pas perçues comme telles en s’appuyant sur des attentes collectives, des croyances socialement inculquées. » ? (Bourdieu, 1994, p. 188). L’évolution des terminologies évoquant cette nouvelle société (société de l’information, société de communication, société du savoir, société de la connaissance…) ; « Voici advenir la Société de l’information, la Société de la communication entre les personnes humaines, la Société de la connaissance et des savoirs partagés, et surtout, la Société de la solidarité de tous les habitants de notre planète. » participe-t-elle de la même tendance ? Il nous semble indispensable d’étudier les glissements sémantiques et les pluralités de sens que recouvrent ces évolutions qui s’apparentent à une véritable bataille sémiotique.
Nous pouvons en déduire, que malgré les filiations, celles-ci ne sont pas le gage d’un consensus des représentations. Persistent en outre de fortes contradictions (comme nous l’avons vu précédemment). Les quelques points de rupture présentés ci-dessous nous permettent d’aller dans le sens de leur analyse :
Production et transmission de savoir Rapports sociaux, lien social Pouvoir, rapport au politique
Éducation populaire
Modèle d’éducation complémentaire, construction de savoir à partir de l’expérience et du collectif
Travail de proximité,
Action collective, médiation humaine et accompagnement, lien social par l’échange Tissu associatif, contre-pouvoir, corps intermédiaire
Société de l’information Développement du télé-apprentissage, passage du modèle éducatif centralisé et transmissif à une logique de réseau, confusion information et savoir, Mise à distance médiatisation individualisation des pratiques, désintermédiation Origine libertaire, mais reprise par discours libéral, économisme, modèle développé par les pouvoirs publics et les instances économiques
Si les outils technologiques par lesquels se développe et se donne à voir la société de l’information facilitent les procédures de contrôle, les associations d’éducation populaire en adoptant ces mêmes outils ne risquent-elles pas de se faire les relais d’un certain contrôle social en même temps que la promotion d’un modèle consensuel de cette société ? Ne sont-elles pas, dès lors, dans la position d’adopter le système de valeurs inhérent à ce modèle en y agrégeant leurs discours et leurs pratiques ? Ce qui revient à nous reposer la question du caractère performatif de l’objet technique, autant que celle de l’influence du cadre symbolique accepté ou revendiqué dans lequel s’inscrivent les pratiques.
En effet, au-delà des discours, la technique se révèle comme maître d’œuvre du processus d’adhésion à ce modèle sociétal (par l’implantation des réseaux, la prescription des usages, la propagation dans la quotidienneté et l’intimité). Les discours et les dispositifs sont indissociables dans ce processus d’adhésion. Le modèle de la société de l’information semble se réaliser par le biais d’un ensemble de dispositifs sociotechniques qui tendent à objectiver et formaliser les pratiques. Ceux-ci ne produisent-ils pas des normes, des modes d’expression, des modes d’action, voire des modes d’être ?
Si ces dispositifs, au cœur de la dynamique de convergence, tendent à réduire les marges de liberté, à pré-inscrire les pratiques sociales dans un schéma technique, quelles sont dès lors les marges de manœuvre, derrière les normes et les protocoles ainsi définis ? Peut-on faire confiance à la particularité et à l’ancrage historique de ces mouvements, comme garants de leur singularité et donc de leur marge de liberté par rapport au modèle consensuel de la société dite « de l’information » ? Il nous semble que ce modèle soit le lieu où convergent des intérêts divergents qui semblent soudain portés par une même dynamique. Au vu de ces éléments, on peut faire l’hypothèse que les tentatives d’objectivation de la société de l’information se caractériseraient par des logiques conflictuelles et par des processus de négociation permanente entre les acteurs qui s’y investissent.
2.2 Les enjeux pour l’éducation populaire : l’identité en question
La rencontre avec la thématique de la société de l’information, nous l’avons vu, interroge à bien des égards les mouvements d’éducation populaire. Il s’agit à présent d’examiner plus précisément les enjeux de cette rencontre en interne. Autrement dit, en quoi, les filiations, tensions et contradictions évoquées auparavant poussent à une remise en question de l’identité même des mouvements de l’éducation populaire.
2.2.1 Crise de sens et dissonances
Le malaise attesté de l’éducation populaire trouve notamment son origine dans les évolutions historiques et structurelles plus larges qui conduisent à un certain décalage. C’est le cas en ce qui concerne son public ; l’éducation populaire n’aurait pas forcément réussi à s’adapter à l’évolution de celui-ci. Ainsi, si l’objectif était d’aider à sortir « des aliénations des milieux de travail, d’étude, de famille, de quartier, de loisir tous les hommes sans exception, […] l’expérience a précisément démontré que cette démarche n’allait pas de soi : ce sont essentiellement les classes moyennes qui ont bénéficié des ouvertures culturelles. » (Degée, 2003). De nombreux discours évoquent la désarticulation de l’éducation populaire, due au fait que « le système social et culturel dans lequel elle s’est constituée a connu de grands changements. Les référents de l’humanisme, du collectif, ont été remplacés par ceux des identités et des différences. » . Les nouvelles modalités d’intervention sociale interrogent aussi la conception historique de l’éducation populaire qui serait aujourd’hui dépassée (Douard, 2000, p. 155). Or, les outils technologiques de la société dite « de l’information » questionnent également ces évolutions (militantisme électronique, multiplicité des engagements et des appartenances, médiatisation des relations…). Aussi, la thématique de la société de l’information se situe-t-elle dans le prolongement de ces évolutions structurelles qui posent question à l’éducation populaire.
On le voit, l’éducation populaire affronte une crise de sens qui est palpable dans la multitude de définitions que l’on peut trouver et dans la multiplication des discours évoquant la nécessité de refonder l’éducation populaire. En effet, depuis quelques années, un vaste mouvement d’autocritique est apparu dans les milieux de l’éducation populaire. Face aux dérives consensuelles, certains militants d’éducation populaire souhaitent « repolitiser » l’éducation populaire. La construction d’une réflexion propre et spécifique sur les enjeux de la société de l’information semble aller dans le sens d’une mise à jour des champs d’action et de réflexion de l’éducation populaire, est-ce à dire que cette construction participe également de la « repolitisation » ? N’est-elle pas plutôt le signe d’une dépolitisation, ou en tout cas, la marque d’une certaine normalisation des pratiques éducatives et politiques spécifiques à l’éducation populaire ?
2.2.2 De l’action au champ
Pour beaucoup de militants, le « travail d’éducation populaire » se situe d’emblée et avant tout dans l’action ; dans la pratique plutôt que dans les discours car « l’éducation populaire ce n’est pas du discours, sinon c’est de l’idéologie » . Dans cette optique, l’éducation populaire se situerait toujours déjà dans l’action, dont elle tirerait sa légitimité. Cependant, il s’agit selon nous, d’un champ qui s’est également forgé par le discours, par la constante réaffirmation des valeurs et des logiques qui rassemblent les acteurs de ce champ.
Pour certains, il y a trop de discours ; « le temps mythique de l’éducation populaire c’est le temps où l’on n’en parlait pas, c’est-à-dire le temps où l’éducation populaire était la dimension culturelle de la production de l’action collective » (Carton, cité par Lepage, 2001, p. 36). Pour d’autres encore, l’éducation populaire serait tombée dans l’activisme. On retrouve la dialectique de l’action dans les attentes des mouvements d’éducation populaire par rapport aux nouvelles technologies. En effet, au-delà de l’accès à l’information, c’est la capacité de produire des messages, d’être acteur et non consommateur qui est recherchée à travers ces outils.
Or, la société de l’information, ce « paradigme dominant de la période historique actuelle », serait évoquée comme un principe sacré « propre à justifier n’importe quelle politique », mais ce terme repose également sur une véritable construction théorique (Garnham, 2000, p. 56). D’une manière plus générale, il semble que les récents développements dus à la volonté d’engendrer cette société soient l’occasion de prendre acte de la nécessité de formaliser les modalités d’action de l’éducation populaire, de passer de l’action à la réflexion sur cette action. Ainsi, pour Maurel (2000), il s’agit de mettre en oeuvre une véritable praxéologie pour aider le milieu de l’éducation populaire à se constituer en champ au sens bourdieusien.
[…] La meilleure voie de dépassement ou de contournement de l’instrumentalisation de l’éducation populaire et du travail de la culture c’est leur instrumentation intellectuelle et pratique. C’est bien parce qu’elles manquent d’outils théoriques et pratiques que l’éducation populaire et le travail de la culture se trouvent enrôlés, discours à l’appui, dans des projets et démarches dictés par d’autres. […]. Il s’agit bien de participer à l’émancipation à la fois intellectuelle et politique de champs de pratiques qui, par ailleurs, font de l’émancipation des individus leur projet fondateur et central. (Maurel, 2000, p. 25).
2.2.3 Utopies, idéologies et identité
Si le modèle de la société de l’information découle, en partie, de représentations utopiques, en ce sens qu’il définit une forme idéale de société à construire, tout autant qu’un processus de construction, reste que derrière cette forme idéale, plusieurs idéologies seraient revendiquées. Le modèle dominant de la société de l’information se fonde à la fois sur une idéologie de marché et sur une idéologie de la communication, œuvrant dans une même dynamique de décloisonnement des frontières, de mondialisation, de médiatisation généralisée. Mais, la société de l’information est également habitée par un imaginaire scientifique et libertaire (Flichy, 2001, p. 43-109). Quelles qu’en soient les origines utopiques, le recours au modèle de la société de l’information renvoie, aujourd’hui, à une véritable idéologie politique légitimante (Flichy, 2001, p. 36) dans laquelle s’engouffrent également des acteurs n’appartenant pas directement à ce processus, et ne répondant pas nécessairement aux schémas attendus. Car l’idéologie et l’utopie constituent deux fonctions complémentaires au sein de « l’imagination sociale et culturelle » (Ricoeur, 1997, p. 17). Se pose dès lors la question de l’identité, car si l’idéologie permet la reproduction des classes et des rapports de domination, elle fonde aussi les processus de construction identitaire et fait partie intégrante de « la structure symbolique de la vie sociale » (Ricoeur, 1997, p. 25). La part acceptée de l’idéologie, l’est parce qu’elle donne une identité ; elle fonctionne par reconnaissance.
Aussi, il nous semble, qu’en se référant à la société de l’information, les acteurs de l’éducation populaire s’inscrivent dans ce long processus de construction identitaire. Si cette démarche n’est pas sans risques pour eux, elle appelle à une refondation du mouvement et leur permet d’élargir leur champ d’action par des alliances inédites. Ainsi, en même temps qu’elle se traduit par des expérimentations, et des appropriations (dans les discours et les pratiques), la référence à la société de l’information accompagne aussi des tentatives de recomposition interne du champ. Elle serait le moyen, pour l’éducation populaire, d’actualiser ses problématiques par rapport aux nouvelles problématiques sociales, de réinvestir l’espace public et les questions communicationnelles. En outre, étant donné l’omniprésence dans les sphères sociales des discours sur la société de l’information, les acteurs de l’éducation populaire, en s’en saisissant à leur tour se donnent la possibilité de confronter leur vision (ou leurs visions, puisqu’il ne s’agit pas d’une vision homogène) aux visions dominantes, voire d’initier des stratégies d’alliances.
Conclusion
Les militants de l’éducation populaire accordent une place prépondérante à la capacité de faire sens, de donner du sens à l’action, à la vie en société. Aussi, dans leurs discours par rapport à leur engagement vis-à-vis de la société de l’information trouve-t-on en premier lieu la volonté de s’accaparer les outils technologiques afin de les intégrer dans une démarche d’éducation populaire. Or, il s’agit là des enjeux proprement sociaux et culturels de la société de l’information. Aussi, considérant le nombre important de projets mis en place par les instances publiques pour développer cette fameuse société de l’information, qui se trouvent critiqués pour leur manque d’ancrage culturel et social, de contenu, pour leur vision techniciste, il est intéressant de s’interroger sur la capacité des acteurs de l’éducation populaire à s’approprier tout ce que ce genre de projets met justement de côté. Mettant en avant le sens de l’action, le projet, les visées sociales et éducatives avant tout, le milieu de l’éducation populaire a certainement un rôle considérable à jouer dans le développement d’une société de l’information servant les grands principes émancipateurs dont ce milieu se réclame. Mais, comme nous l’avons vu, le recours au concept de société de l’information permet également de légitimer l’économisation du monde et la dérégulation économique. De ces quelques considérations, il ressort que le modèle de la société de l’information serait apte à servir parallèlement plusieurs idéologies. Enfin, le rapprochement de l’éducation populaire avec d’autres mouvements sociaux et l’intérêt grandissant pour les problématiques communicationnelles et technologiques augurent de possibles reconfigurations au sein même du milieu de l’éducation populaire.
Interviennent cependant également (et de manière contradictoire) les traditions culturelles, le poids des idéaux historiques et les réticences de certains acteurs de l’éducation populaire à l’égard de milieux industriels dont les critères et valeurs sont étrangers à leur philosophie émancipatrice et non lucrative. En particulier, la phraséologie universaliste et l’idéologie irénique qui habillent les grands récits de la démocratie virtuelle et de la formation tout au long de la vie fournissent à bon compte des arguments à d’autres catégories d’acteurs. Ceux-ci n’occupent d’ailleurs pas forcément une position dominante dans les institutions de l’éducation populaire. Toutefois ils recherchent dans cette phraséologie et dans cette idéologie de quoi légitimer les stratégies d’alliance dont ils prennent l’initiative. Ainsi s’expliquerait l’effervescence qui accompagne, dans les milieux de l’éducation populaire, la popularisation de la référence à la société de l’information.
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