Je suis allemande, mon mari est français, nous vivons à Francfort avec nos deux enfants en bas âge. Comme nous travaillons, nous avons dû trouver un système de garde. Il y avait bien le jardin d’enfants municipal, le “Kindergarten”, mais nous avons préféré inscrire notre petit Nils de 3 ans dans un “Kinderladen”, une structure d’accueil pas tout à fait comme les autres. Ma belle-mère française, qui nous a récemment rendu visite et qui a insisté pour aller chercher Nils avec moi, peut en témoigner.
“Kinderladen” : onze lettres qui swinguent sur une vitrine bariolée. Ca peut se traduire par “magasin d’enfant”, dis-je en ouvrant la porte. Ma belle-mère est interloquée. Avant que je n’aie eu le temps de lui expliquer l’origine du nom – les “Kinderläden” ont en effet souvent succédé à d’anciennes boutiques – nous nous retrouvons au milieu de marmots braillards. Mon fils est pieds nus, le visage grimé, les ongles vernis, à califourchon sur un tigre en peluche récupéré aux encombrants. Et pas le moindre éducateur à l’horizon.
En quête des chaussettes de Nils, nous butons sur des enfants qui écoutent de la musique qu’ils ont apportée. Dans l’atelier, des garçons sont en train de transformer un aspirateur en robot. D’autres donnent à manger aux souris. Ma belle-mère n’en croit pas ses yeux. Nous finissons par retrouver les chaussettes sur une sorte de mezzanine où quelques enfants se sont isolés pour lire confortablement. Pas d’erreur : tandis que les bambins des jardins d’enfants publics ou privés reçoivent autant de soins qu’une petite plante fragile, ceux du “Kinderladen” poussent façon herbe folle, en toute autonomie. Jeux, peinture ou sorties, les enfants sont libres de participer ou non aux ateliers proposés. Le reste du temps, ils organisent eux-mêmes leur journée. Les adultes ne sont là que pour les aider à donner corps à leurs idées. Ma belle-mère frise l’apoplexie. Seul le soulagement de voir que son petit-fils a survécu comme par miracle à tout ce chaos l’aide à reprendre lentement ses esprits. En secouant la tête, elle marmonne qu’en France, jamais au grand jamais on n’accepterait un tel charivari. Elle n’a d’ailleurs pas tort. En France, la plupart des enfants vont à l’école maternelle dès qu’ils ont l’âge de trois ans. L’école maternelle, c’est l’antithèse totale du “Kinderladen”. Des instituteurs – pardon, professeurs des écoles – sont chargés de préparer les petits à l’école primaire, ainsi qu’à la vie en société. Et ça ne rigole pas.
En Allemagne, les “Kinderläden” ont vu le jour dans le sillage du mouvement étudiant et féministe. Après la guerre, le quotidien des femmes continue à tourner autour des 3 “K” : “Kinder”, “Küche”, “Kirche” – enfants, cuisine, église. Il faut attendre les années 60 pour que ce schéma soit remis en question. Les mères ont décidé de travailler. Mais problème : les jardins d’enfants affichent complet. En 1967, la pédagogue Monika Seifert et le Conseil d’action pour la libération de la femme créent donc à Francfort-sur-le-Main le premier jardin d’enfants alternatif autogéré. À l’époque, le mouvement étudiant ne jure que par l’éducation anti-autoritaire, une façon de se démarquer de l’idéologie du Troisième Reich qui mettait l’accent sur l’obéissance aveugle et la discipline. Dans les premiers “Kinderläden”, les parents s’occupaient des enfants, du ménage et de la cuisine ; aujourd’hui, des éducateurs professionnels ont pris le relais.
On trouve toujours des “Kinderläden” dans la plupart des grandes villes allemandes. Avec le temps, ils se sont policés, renonçant en partie aux principes anti-autoritaires du début. Mais reconnaissons-le : ça déménage quand même plus que dans les écoles maternelles françaises.