Dans le magazine Le cercle Psy :
L'attachement
en questions
La théorie de l’attachement est beaucoup plus ambiguë qu’on l’imagine. À première vue, elle est séduisante. Car elle illustre un souhait que nous voudrions tous voir réalisé : la toute-puissance de l’amour. Si je suis aimé à l’aurore de ma vie, alors que je construis tous mes points de repère, que je découvre mes émotions, que j’explore les merveilles et les dangers du monde, alors je me sens en confiance, sûr de moi, je suis bien équipé pour cheminer vers l’inconnu. L’amour est comme une arme et une bénédiction.
Bien sûr, nous voulons tous y croire. Mais entre les croyances et les faits, il peut y avoir un gouffre. L’attachement est une théorie, et des plus difficiles à tester : comment s’assurer de la part exacte de l’amour précoce par rapport à d’autres facteurs déterminants comme le contexte socio-économique de la famille, les fréquentations, ce que tolère ou non la culture ambiante, la vision de l’avenir véhiculée par les médias, et tant d’autres encore ? L’attachement compte-t-il par exemple pour 50 % dans la trajectoire d’un enfant ? Pour 20 % dans celle d’un adulte ? Perspective absurde. Surtout diverses enquêtes, dont celles qui ont servi de base à la notion de résilience, montrent que bon nombre d’individus mal partis déjouent tous les pronostics. Inversement, d’autres tournent mal alors qu’ils ont bénéficié d’un soutien parental sans faille. L’attachement sécure est un atout, pas une baguette magique. Ni sans doute un ingrédient indispensable.
Enfin, la théorie a son revers. Elle suggère encore trop souvent, en creux, que tout repose sur la mère. Presque à l’exclusion du conjoint, de la famille, de la fratrie, des meilleurs amis. Pour peu que la mère se montre stressée, peu disponible, débordée, tout simplement maladroite, trop inquiète, trop aimante même, alors elle compromet, au moins en partie, l’avenir de son bébé. En psychologie, l’enfer des mères responsables et coupables a toujours été pavé de bonnes intentions…
Il nous a ainsi paru important d’analyser la théorie de l’attachement sous ses diverses facettes, en tenant à l’écart les stéréotypes. Et comme toujours en psychologie, nos certitudes et nos a priori s’avèrent des colosses aux pieds d’argile.
Jean-François Marmion, rédacteur en chef