L’animation : un travail bénévole ?

Les animateurs travaillent généralement de façon morcelée, que ce soit à l’échelle de l’année ou de la journée. Ils transforment leurs « temps creux » en temps accessoires d’attente et valorisent l’alternance entre temps forts et temps faibles, et à contretemps des horaires habituels. Leur grande disponibilité et loyauté ont conduit dans les années 1970 à qualifier l’animation de « travail bénévole [1] ».
Cette analyse est-elle toujours d’actualité ?
Comment le bénévolat traverse-t-il la culture professionnelle et les pratiques des animateurs ?
Le travail salarié, qu’il soit permanent ou occasionnel, peut-il être simultanément un engagement social ou militant ?
 
Quelques pistes pour aider chacun à se faire une opinion… et pour venir en débattre sur le forum planetanim !
 
 
I.               Un engagement libre et sans contrepartie ?
 
« Le bénévolat et le volontariat se définissent principalement par opposition au contrat travail » rappelle Emmanuel Dockès en introduction d’une conséquente monographie [2]. Le contrat de travail est défini par la doctrine et la jurisprudence à travers deux éléments : une rémunération et un lien de subordination. C’est ainsi, par exemple, que les compagnons bâtisseurs qui interviennent « bénévolement » sur des chantiers de rénovation encadrés par un animateur salarié et percevant des indemnités et avantages en contrepartie de leur activité sont bel et bien dans une situation de travail [3].
Le bénévole dispose ainsi, contrairement à l’employé, d’une grande autonomie dans son activité. C’est le cas par exemple des modérateurs et gestionnaires du site planetanim, qui participent lorsqu’ils le souhaitent, sur les sujets et dossiers de leurs choix et de la manière qu’ils veulent, ce qui conduit évidemment à une sorte de « joyeuse pagaille », ma foi fort agréable !
Le volontaire est quant à lui une sorte de « bénévole payé », puisqu’il est « soumis à l’autorité des dirigeants de l’association dans le cadre d’un service organisé, et d’autre part, soumis à un régime disciplinaire [4]. » Il perçoit un sous salaire, une "indémnité."
Bénévoles et volontaires ne bénéficient pas des garanties liées au salariat (protection, conditions de travail, rémunération…) puisqu’ils sont exclus du code du travail.
 
Mais faut-il réduire le bénévolat à une pratique associative proche du don ? Car le bénévolat, s’il se définit par distinction avec le salariat, trouve en lui même des antagonismes et des oppositions. Ainsi, on n’envisage souvent que le bénévolat organisé, celui qui s’inscrit dans un cadre institué. Pourtant, selon une étude parue en 2001 (sur les données INSEE 1985-1986), le bénévolat informel comme l’entraide entre voisins et les coups de mains divers, est plus repandu que le bénévolat formel [5]. Le Robert donne également un sens large au bénévolat « Qui est exécuté sans obligation et à titre gracieux. Service, aide, collaboration bénévole. cf. Désintéressé, gracieux, gratuit. »
On peut également distinguer le bénévolat de l’action du bénévolat de la décision, comme le proposent les chercheurs Véronique Bordes et Christophe Dansac dans une étude menée en Midi-Pyrénées dont les résultats préliminaires ont été présentés lors du 6ème colloque du réseau international de l’animation (RIA). Ainsi, pour reprendre l’exemple de Planet’Anim, la relecture et la suspension éventuelle d’une annonce fait partie de l’espace de l’action, tandis que l’élaboration de nouvelles règles de modération fait partie de l’espace de décision. On retrouve cette distinction dans l’étude menée par l’Union nationale des associations familiales (UNAF) [6] dont nous avons récemment parlé. Lire à ce sujet notre article : L’engagement des jeunes bénévoles selon les responsables d’associations et en discuter ici.
 
 
II.              Ce qui pousse à être animateur : l’engagement social ?
 
Selon le panorama annuel « La France bénévole » réalisé par Recherches & Solidarités et France Bénévolat [7] (lire notre article L’état du bénévolat en France (2013)) une spécificité de l’éducation populaire est que les motivations explicites de ses bénévoles reposent plus sur le sentiment d’être utile à la société, par exemple en accompagnant personnellement un jeune, que celles des bénévoles œuvrant dans le champ des loisirs. L’animation socioculturelle relève-t-elle de l’éducation populaire ou des loisirs ? L’étude ne le dit pas…
Oui, faut-il le redire ? Jusqu’au milieu du XXème siècle, les animateurs que l’on nommait alors « moniteurs » ou « éducateurs » étaient essentiellement des instituteurs, des travailleurs sociaux ou des étudiants qui essayaient d’être utiles à la société en participant à l’épanouissement et à l’éducation de la jeunesse pendant leur temps libre. Des gens « qui n’hésitaient pas à donner quasi bénévolement leur temps au service de tous [8]. » À partir de la fin des années 1950, la sortie du militantisme et la professionnalisation s’amorce avec le besoin d’avoir des animateurs permanents [9] : la tension entre les valeurs militantes de l’engagement social et les principes protecteurs du droit du travail se cristallisent à divers moments : d’abord dans les années 1980, lors des négociations de la convention collective de l’animation, et de son annexe II « personnel pédagogique », puis en 1999 – 2000 avec l’échec du projet « Jeune Animateur Volontaire Stagiaire » (JAVOS) et surtout en 2006, avec la création du contrat d’engagement éducatif (CEE). Cette opposition entre deux visions – engagement social et professionnalisation – a été récemment mise sous le feu des projecteurs lors du conflit autour du contrat d’engagement associatif. À ce sujet, nous avons publié deux articles de synthèse (Contrat d’engagement éducatif : la fin de l’aventure juridique et Le rapport sur le contrat d’engagement éducatif enfin dévoilé) mais nous encourageons surtout la lecture et la participation aux discussions sur le forum. En effet, comme le concluent les chercheurs Francis Lebon et Maud Simonet, « dans un contexte de chômage important, les animateurs en CEE, et a fortiori des jeunes indemnisés pour leur volontariat, n’alimentent-ils pas, objectivement, une armée de réserve « engagée » et bon marché ? En déniant le travail au nom de l’engagement et en institutionnalisant progressivement ces zones grises entre emploi et bénévolat, le monde associatif ne contribue-t-il pas, aujourd’hui, à la déstabilisation de la société salariale et au développement de nouvelles formes de subordination, de précarité et d’exploitation qui s’accordent au final plutôt bien avec un projet néolibéral qu’il prétend combattre ? [10] »
 
Parallèlement à cet engagement, le panorama « La France bénévole », déjà cité, rappelle l’importance de la convivialité, des camarades, des amis, et de l’ambiance d’équipe qui sont les secondes satisfactions (après le sentiment d’être utile, cité ci-dessus), les secondes motivations explicites des bénévoles [11].
 
J’ajoute le qualificatif « explicite » aux motivations exposées par « La France bénévole. » En effet, les personnes interrogées lors d’études ne dévoilent pas spontanément leurs intérêts et désirs, mais font une réponse intermédiaire en imaginant « la bonne réponse attendue. » Par exemple, l’étude socio-normative coordonnée par Christophe Dansac a montré qu’il y avait une hiérarchie des motivations pour le bénévolat, avec, en haut, des motivations « nobles » (valeurs sociales, découverte et compréhension du monde), et en bas, des motivations « faibles » (relations sociales, résoudre des problèmes personnels) [12]. Lors du 6ème colloque du réseau international de l’animation (RIA), Jean-Luc Richelle a présenté une étude en cours menée au sein de l’association de la fondation étudiante pour la ville (AFEV) de Bordeaux, et rappelé l’importance des « paris adjacents » dans les facteurs de motivation. Ses premiers entretiens révèlent des intérêts seconds et cachés au premier abord, comme la reconnaissance sociale ou la croyance en une valorisation professionnelle…
 
 
III.            Le grand écart…
 
Pour tenter de conclure cet exposé qui ouvre probablement plus de portes qu’il n’apporte de réponses, on peut relever les fortes contradictions qui se nichent au cœur du bénévolat.
 
Tout d’abord, il y a contradiction entre les attentes bénévoles (l’envie de « jouer un rôle », de décider, de se faire des potes… cf. plus haut) et les aprioris des dirigeants. Selon eux, le bénévolat procurerait maturation, développement de la personnalité et permettrait l’acquisition de compétences techniques [13].
Ensuite, il y a une contradiction entre le discours public favorable aux associations et à la « démocratie citoyenne », qui affirme que « les bénévoles seront soutenus pour leur dévouement pour la République » (discours d’investiture du président Hollande) et la baisse continue des subventions publiques aux associations [14] (lire à ce sujet notre article 2014 : Baisse du budget « Jeunesse » et fermeture programmée de l’Injep).
Enfin, il y a une contradiction entre les « beaux discours », notamment au sein de l’animation, à savoir les valeurs de solidarité, de tolérance, de confiance aux autres et d’entraide… et la réalité libérale. À ce sujet, on peut lire les travaux de Francis Lebon et ceux qu’il a rassemblés dans la revue qu’il a dirigé : Agora débats/jeunesses [15], ainsi que ceux de la percutante Magali Bacou. En croisant les observations de sa thèse de 2010 et ses travaux en cours sur le volontariat et le service civique, M. Bacou explique que le volontariat dans l’animation « est un projet en rupture avec les préoccupations des animateurs/animatrices en accueil de loisirs [16] » qui vise d’abord à répondre aux tensions du marché du travail et aux difficultés de financement des associations.
 
 
IV.            Ressources utiles
 
  • Les missions d’accueil et d’information des associations (MAIA)

Trouvez le centre de ressources proche de chez vous

  • Les sites web

http://www.associations.gouv.fr (site officiel du Ministère en charge de la vie associative)

http://www.francebenevolat.org/ (site de France bénévolat, association qui a pour objectif de développer le bénévolat associatif et qui propose de nombreuses  fiches techniques, études et documents en téléchargement)

 
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Photo by Unknown ("Nunney") [Public domain], via Wikimedia Commons


[1] POUJOL G. (1978), Le Métier d’animateur : entre tâches professionnelles et action militante, Paris, Éditions Privat
[2] DOCKES E. (2010), Droit social des associations et autres organismes sans but lucratif, Paris, Juris Éditions, coll. Le Juris Corpus p. 3
[4] SAVATIER J. (2007), Entre bénévolat et salariat : le volontariat associatif (Loi du 23 mai 2006), Droit social p. 197
[5] PROUTEAU L. (2001), « Les figures du bénévolat », Recherches et prévisions vol. 63 p. 20 Télécharger (pdf 106 Ko).
[6] UNAF (2003) « L’engagement des jeunes comme bénévoles : perception des responsables d’associations » p.9 Télécharger (pdf 1,3 Mo).
[7] BAZIN C. MALET J. (2013) « La France bénévole » 10ème édition p. 7 Télécharger (pdf 496 Ko).
[8] NDIAYE A. (2004), « Bénévolat et professionnalisation des agents d’animation culturelle », dans FERRAND-BECHMANN D. (dir.), Des Bénévoles et leurs associations, Autre réalité, autre sociologie, Paris, Éditions L’Harmattan p. 203
[9] MIGNON J.-M. (1999), Le métier d’animateur, Paris, Éditions Syros Coll. Alternatives sociales, p. 11
[10] LEBON F. et SIMONET M. (2012), « Le travail en "colos" Le salariat en vacance ? », Les notes de l’Institut Européen du Salariat n°26, p.4 → Télécharger (pdf 299 Ko).
[11] BAZIN C. MALET J. (2013), Op.cit., p.7-8 Télécharger (pdf 496 Ko).
[12] DANSAC, C., et al. (2013) Gouvernance des associations et motivations des bénévoles, Figeac, 2013 Télécharger (pdf 1,2 Mo).
[13] UNAF (2003), Op.-Cit. p.10-11 Télécharger (pdf 1,3 Mo).
[14] Enquête CNRS – Centre d’économie de la Sorbonne (2012) « Le paysage associatif français » → Télécharger (pdf 1,3 Mo).
[15] Agora débats/jeunesses n° 48 : PINTO V. « Les étudiants animateurs : un petit boulot vocationnel », p. 20-30 ; CAMUS J. « En faire son métier : de l’animation occasionnelle à l’animation professionnelle », p. 32-44 ; LEBON F « "J’ai une grande confiance dans la mairie" » p. 82-84 ; LEBON F. « "Quitte à être mal payé, autant être mal payé dans un truc qu’on aime bien faire" » p. 85-86
[16] BACOU M. et al. « Inversion du sens ou nouveau référentiel dans le champ de l’animation ? » Non publié à ce jour. Intervention lors du 6ème colloque du réseau international de l’animation (RIA)

 

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