Pour une éducation buissonnière
POUR UNE EDUCATION BUISSONIERE
Plaidoyer pour l’éducation nature
Louis Espinassous
Dehors !
Plus qu’un cri du coeur, c’est une supplication que l’auteur adresse à chacun. Parents, animateurs, directeurs, organisateurs, pouvoirs publics, enseignants…
Louis Espinassous (auteur notamment de "Pistes") ne dit pas ici pourquoi ni comment nous en sommes arrivés à une société enfermée, reclue. Son propos n’en est pas moins fort. Ce fervent défenseur de la vie dans et avec la nature, nous invite à prendre conscience de "l’éducation hors-sol" que nous prodiguons chaque jour un peu plus à nos enfants. Il faut sortir. Sortir des bâtiments, de la salle de classe, du préau, du centre de loisirs, de la maison, autrement nous courrons un grand danger, celui de voir toute une génération (et du même coup les suivantes) sans repère autre que le modelage de l’homme. Cercle vicieux déjà décrit par François Terrasson*.
La nature, le dehors (à commencer par le jardin, le terrain en friche) offrent mille dangers pour les enfants. Mais, pour reprendre l’image de l’auteur, un enfant aura beaucoup plus de chances de tomber d’un arbre et de se blesser si on lui a toujours interdit d’y grimper. A l’inverse, un enfant qui a été accompagné, aidé, encouragé à monter dans ce lieu de rêve (l’arbre comme la cabane ou la tente est un monde en soi !) s’y déplacera avec assurance. Il faut donc que ces risques soient appréciés, pensés, mais pas supprimés.
Louis Espinassous nous rappelle néanmoins le rôle de l’adulte, dans son devoir "d’éduquer en humanité" (mots de l’auteur). Ainsi, la nuit, source inépuisable et si puissante d’expériences, de découverte, de contemplation, peut se tranformer en véritable cauchemar pour peu que l’adulte ne prête pas attention à (ou pire, joue avec !) la peur de l’enfant qui ne connaît pas cet extérieur différent. L’accès au dehors ne doit pas nous faire oublier la possibilité de maltraitance, même involontaire.
Mais priver un enfant de ce dehors c’est, en effet, comme faire pousser un pied de tomate 50cm au-dessus du sol ! C’est réduire son environnement à son école, sa maison, la rue, le centre de loisirs…
Sortir n’est pas le seul propos de ce livre bourré de tristes constats et d’invitations à l’émerveillement, à l’expérience. Louis Espinassous dit également non. Non ! aux animateurs nature et enseignants qui, forts de leurs "malles pédagogiques" prétendent faire découvrir la nature pendant 2h, en classe, devant un diaporama ou un outil d’animation. Non aussi à la "Planète Clean", la recherche de l’hygiène à tout prix, de l’affolante asepsie demandée à tous : classes de découverte, colos, centres de loisirs, école. Ou comment parler d’écologie lorsqu’on utilise des emballages individuels lors de la sortie "nature"… et autres contradictions criantes.
Non !, encore, à la "Croisade des enfants", celle pour l’environnement et le développement durable que nous, adultes, leur imposons ; ou comment culpabiliser nos enfants pour ce que nous ne sommes pas capables de réaliser.
Non encore à l’activisme forcené de ces animateurs formés pour offrir (ou plutôt gaver !) aux enfants des activités, sans cesse.
Ce livre est un plaidoyer remarquable, argumenté, imagé. C’est aussi un éloge de la solitude et de l’entre-enfant. Un ouvrage pour combattre la présence permanente de l’adulte auprès de ces "mômes" qui essayent tant bien que mal de grandir, coincé entre quatre murs, un adulte et un couloir. Un plaidoyer encore pour la rencontre. La rencontre humaine, la rencontre de la vie dehors, la rencontre des pierres, de la mousse, des arbres, des renards, des étoiles. La rencontre avec le froid qui glace les joues lorsqu’on dort sous un ciel parsemé d’étoiles. Un plaidoyer, enfin, pour rappeler que c’est uniquement dans cette liberté, accompagnée de loin par la présence rassurante et amicale de l’adulte, que l’enfant pourra être, tout simplement.
Ce livre s’adresse à tous, et pas seulement aux animateurs nature. On peut voir à travers ces lignes des références pertinentes à G. Bachelard, F. Terrasson, Th. Monod, J. Giono, D. Cottereau, F. Deligny et tant d’autres.
Pour conclure, ce livre doit amener à une prise de conscience urgente : ce n’est pas sur le papier ou dans les livres (et encore moins derrière les écrans d’ordinateur, télé) que la nature partage ses secrets, il est impératif d’aller vivre au coeur de cette nature. La nature est le terreau indispensable à l’imagination, au jeu (libre surtout), à la joie d’être et à l’expérience de la confrontation (aux autres, mais aussi à la lame d’un couteau, à la rugosité d’une écorce d’épicéa, à la douceur du hululement du hibou Moyen-Duc le soir, au bord du marais…).
Nous avons désormais "le droit de rêver, et le devoir de penser".
* François Terrasson – La Peur de la Nature
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